par Stéphanie Pryen. Photographies de Stéphanie Pryen et Karine Garbarini (publiées avec l’accord précieux de Karine, quelques semaines avant sa disparition – voir portfolio)
Les scènes se passent dans une grande métropole française qui, comme tant d’autres, relègue ses contemporains pauvres dans des bidonvilles.
Décors principaux : une caravane immobile, assignée dans un « campement » sur un parking universitaire avant d’être expulsée vers un autre improbable « campement » ; une maison 1930 au loyer modéré dans un quartier populaire ; les espaces publics de la ville.
Personnages principaux : Stéphanie, quarantenaire, sociologue dans le civil ; Ana Maria, trentenaire, pauvre sans emploi avec un court passage dans un CDD tout léger, ethniquement désignée ; Bobi, son mari, pauvre tout autant, désigné tout autant, en contrat d’insertion à un moment donné dans son parcours de vie ; leurs deux enfants et demi, Ricardo qui passe de 8 à 9 ans au fil de l’eau, Cassandra de 5 à 6 ans, et leur petite sœur à venir pas loin d’être advenue ; ayant tissé leur amitié au fil d’un engagement dans le même collectif militant ; partageant à un moment donné de l’histoire, la même maison.
*
« Je vais être franche avec vous. On ne peut pas être ami avec un Rom »
C’était au téléphone.
Une salariée d’une association.
Qui travaille à l’insertion de familles « roms ».
Appelée pour avoir de l’aide, des conseils de professionnelle, pour mieux aider Ana.
Elle m’aurait dit que, selon elle, on ne peut pas être ami avec toi, Ana Maria.
J’aurais entendu.
Je l’aurais discuté — puisque de fait, nous sommes amies, Ana.
Mais je l’aurais entendu.
La conversation s’est effondrée sur elle-même.
Raccrochée au nez à la barbe de cette assertion raciste.
J’ai envie de croire que cette femme s’est elle-même statufiée en s’entendant prononcer une telle incongruité, et a participé avec moi à cette fin de non-recevoir.
Il n’y avait plus de suite possible.
Comment peut-on laisser place à l’expérience de relations avec des personnes ?
Qui ne sont ni aimables ni désaimables par essence, par nature, par culture.
Avec chacune, tisser ou pas des liens singuliers. Expérimenter des résonances harmonieuses ou grinçantes.
Indépendamment du fait que cette personne soit caractérisée par telle ou telle catégorie artificiellement construite.
Et quelle que soit la relation tissée avec les unes ou les autres, tenir à l’horizon que toutes sont à égale dignité. Et avec toutes, chercher sans cesse à faire humanité ensemble.
Des gros mots.
Mais bien incarnés.
Ça se passe bien avec tes Roms ?
Un voisin : « ça va ? ça se passe bien avec tes Roms ? »
La dernière fois, il a ajouté « tes petits Roms » ; se reprenant ensuite, « enfin, petits et grands aussi ».
Un cousin : « Paraît que tu as pris des Roms sous ton aile ? »
Des maires qui ont porté des projets d’insertion parlent aussi de « leurs » Roms avec qui « ça se passe bien ».
Ça laisse ouverte la porte aux Roms qui ne seraient pas les nôtres, les leurs.
Ils ne sont les Roms de personne.
Ce sont des relations singulières.
Non reproductibles en série.
Pas un accaparement.
« Ah, chouette projet ! Et quand cette famille sera réinsérée, tu prendras une autre famille ? »
Euh..
Plus surprenant.
Un militant associatif : « Ah bon ? Tu habites avec Ana ? Tu vis dans une caravane alors ? »
Ben non !
L’enjeu de ce vivre-ensemble est de tenter d’avoir plus de possibilités de choisir sa vie.
Il aurait été étrange de le construire dans le sens inverse : de passer du « logement digne » pour l’une au bidonville pour tous.
Pour autant, la réciprocité de l’hospitalité s’expérimente bien au fil de l’eau : l’accueil attentionné chez certaines familles dans leurs baraques ou caravanes, les cuisses de poulets au barbecue au moment de la fête pour la Pâque orthodoxe qu’on partage sur le parking du campement, la tisane qu’un enfant va chercher chez une voisine — je n’aime pas votre café, trop dense, trop fort, trop chauffé, trop mangeable.
Certains militants troublent et brouillent les frontières entre l’autre et eux-mêmes. Ils s’embourbent dans les campements. Laissent ouvertes leurs maisons sans plus les tenir, sans plus y tenir. Y accueillent un nombre indistinct de personnes. Malaise de la non-séparation, inconfort du flou, la distance ne semble plus être marquée.
Ils manqueraient de respect pour eux-mêmes.
L’opacité nécessaire dans les relations serait manquante.
Mais d’autres nous renvoient leur trouble sur notre propre maison, sur notre propre relation.
Qui peut dire où et comment on fabrique la justesse ?
La même étrangeté est éprouvée depuis divers endroits.
On est sans doute tous, à un moment donné, l’embourbé d’un autre.
La question des frontières
Celles qu’on franchit.
Celles qu’on dresse pour se séparer.
Celles qui nous protègent.
Celles qui sont des seuils à partir desquels on peut accueillir l’autre.
Tu me rappelles régulièrement : « Je ne suis pas Rom, je suis Roumaine mariée à un Rom. C’est pour ça que je suis différente d’eux ».
Mais tu éprouves le sort qui leur est fait.
Les discriminations qu’ils endurent sont les tiennes.
Tu te fais arrêter sur le marché parce que, identifiable à un groupe, tu es forcément coupable.
D’avoir volé ce portable qu’une femme ne trouve soudainement plus sur elle alors que tu croises son chemin en traînant ton caddie à roulettes.
Fouillée par la police.
On ne le trouve pas sur toi non plus, ce portable.
C’est que tu as dû avoir le temps de le passer à un enfant.
Ton innocence ?
Un « vol en réunion ».
Garde à vue.
Tribunal.
Ce qui t’arrive ne peut pas m’arriver.
Expérience qui paradoxalement nous lie puissamment.
Tu te fais porte-parole durant la longue et difficile période où 120 personnes, familles avec enfants, ont été accueillies par les syndicats à la Bourse du Travail après avoir été expulsées chassées livrées à elles-mêmes sur un bout de trottoir.
Et tu es en tension, entre :
– tu cries, tu te démènes, d’un côté, celui des autorités publiques, pour revendiquer l’accès aux droits, les droits humains fondamentaux, ceux qui vous sont sciemment refusés ;
– et de l’autre, pour faire entendre que non, les syndicats ne sont pas payés et ne détournent pas l’argent qui serait destiné aux familles ; que non, toi et Lazar qui traduisez n’êtes pas dans les arcanes de la préfecture ; que non, vous ne décidez pas du sort des familles dans les coulisses, à votre profit et à leurs dépens.
Mazaï t’invite souvent dans sa caravane. Tu me racontes qu’elle t’interpelle ainsi quand tu arrives sur son campement : « Entre boire un café ! Tu n’es pas un gitan, toi ! ».
Elle-même l’est…
Subtiles catégorisations…
On s’y retrouve ensemble, dans sa caravane, à manger des œufs frits. Tu fais un geste pour contrarier celui de Mazaï qui s’apprêtait à me fournir des couverts. Tu m’invites ainsi à entrer plus avant chez vous en mangeant « comme nous, avec les mains ».
Une invitation à l’expérience commune.
Tu vois bien que de nombreuses femmes autour de toi ont très peu de marges de manœuvre.
Tu cherches à agrandir les tiennes.
Pourtant, ce troisième enfant qui arrive et que tu portes, la plupart des gens qui m’entourent le trouvent irraisonné, irraisonnable, et me renvoient à ce qui serait « ta » culture, voire ta « nature », qui te pousserait à être inconséquente.
Ils ne mesurent pas à quel point tu as planifié et repoussé cette troisième arrivée.
Tu m’appelles, entre autres noms, Mme Sarfutis… un nom improbable, sans sens autre que celui de me faire revêtir une identité métissée ?
Gadji Dili. La femme française folle.
Il ne s’agit pas de devenir des semblables.
Tu ne me demandes pas d’être comme toi. Je ne te demande pas d’être comme moi.
On cherche à reconnaître ce qui est commun.
Ce qui est partageable.
D’apprendre l’une de l’autre. De se laisser transformer.
De continuer à s’étonner réciproquement.
Notre propre chemin nous surprend toujours, on se demande comment on s’est retrouvées à vivre ensemble.
Question qui nous revient de partout.
A laquelle on n’a pas de réponse.
Simple enchaînement de gestes. De mouvements.
On évoque ensemble nos premiers pas, l’un entraînant l’autre : tes sms exposant crûment ta dure réalité, sans demande ; nos premières virées à Lidl pour faire un plein de courses et acheter du pétrole et du gaz ; la recherche de solutions de logement par le biais des politiques sociales ; les impasses ; l’idée incongrue / la seule alternative : chercher une maison assez grande qui pourrait être un lieu de vie partagé ; la chercher avec Elise, notre amie ; et un jour la signature d’un bail sur lequel vous n’apparaissez pas ; et depuis, la colok à six puis six et demi…
Dans une brasserie où on prend un café, près de mon boulot, l’université, à l’heure du déjeuner, un couple termine sa bière.
Tu me chuchotes à l’oreille : « J’aime pas les femmes qui boivent de l’alcool avec des hommes en public, comme ça !! »
Moi, stupéfaite… « Ana ?! Tu crois que je fais quoi, quand je te dis que je sors le soir avec des amis ? »
Étonnement mutuel ; elle de m’imaginer soudainement à cet endroit moralement si peu tenable pour elle, moi de découvrir qu’elle ne m’y imaginait pas, depuis le temps qu’on se « connaît »…
Nos dégoûts et goûts nous distinguent. L’une de l’autre.
Ricardo empêche physiquement les enfants du campement de se jeter sur moi pour m’embrasser à mon arrivée. Peut-être un mouvement de jalousie. Mais aussi, il cherche à me protéger : « Tu vas être allergique ! Ils sont sales ». Le pur et l’impur de Mary Douglas. La peur de la confusion, de la contagion. La nécessité de catégories étanches. Je vais bien voir, Ricardo, comment m’en sortir pour accueillir l’assaut joyeux de ces enfants que les conditions de vie qui leur sont faites empêchent d’être propres et soignés.
La pesanteur du rien
Ana, où as-tu trouvé la force de tenir encore debout, et d’avoir encore envie que tes enfants tiennent debout ?
Tu m’as livré des bouts de ton parcours lors de nombreux moments d’intimité.
Un soir, à la bougie dans ta caravane, on regardait comme des espions le pasteur appelant à la prière tes voisins et voisines. Allongées sur le ventre, sur ton lit, observant par le battant de la « fenêtre » brinquebalante, dissimulées derrière tes rideaux, on était comme dans une hutte de chasseurs.
Tu ne pouvais pas partager ce moment avec eux car tu fumais à ce moment-là, cela t’excluait de la communauté des croyants. Tu me disais que tu étais en manque de ce que ton corps éprouve dans cette sorte de communion. « Quand je priais avec eux, j’étais comme un bébé, je pleurais, c’était bien ».
Toutes ces fins de soirées passées à revenir sur les lourds événements, en fumant dans la cour de la maison, buvant notre tisane.
Bouts de parcours marqués par le dénuement. Les accidents. Les violences. L’impuissance.
Eva — elle t’a tellement aidée quand tu as débarqué sur les trottoirs de la mendicité, toujours à vos côtés, c’est quand même avec elle et Gaston que vous avez expérimenté votre premier « habitat partagé »… Elle dit de toi que « tu es bénie ».
Je ne parle pas dans ces termes-là. Je ne crois pas à l’esprit saint.
Mais pourtant, quelle est cette force…
Quelles sont les sources de cette force…
Des gens avec qui on discute, les plus compréhensifs, certains disent, cherchant à comprendre, qu’à la place des « Roms », ils se comporteraient sans doute de la même manière — reste à savoir quelles sont ces manières…
Puisque leur place est fabriquée par le traitement différentiel qu’on leur fait subir, à leur « place », on serait bien modelés par cette même expérience.
A la place des « Roms », j’aurais peut-être laissé tomber depuis bien longtemps ! Et ce ne sont pas quelques câbles que j’aurais fauchés, mais la vie pour en terminer avec le mur du présent, la densité du jour le jour, la violence des regards, des actes et du futur opaque.
Et si tu vivais dans une boîte, dans un arbre, dans une voiture sur le bord de la route ? Et si tes chaussures étaient remplies de pluie et de boue et que tu puais comme le chien que tu aimes ? Et si tu dormais chaque nuit dans un fossé, si tu avais toujours froid ? Et si tu n’avais de manteau que celui que tu avais volé, des guenilles et du vent ? Et si tu voyageais pour rester chaud et restais chaud en brûlant ce que tu possèdes ? Et si tu te lavais dans des eaux empoisonnées, t’en abreuvais, en mangeais le poisson ? Et si tu passais au crépuscule dans un pays qui ne te voulait plus ? Et s’ils t’appelaient Gitan, Nomade, pour dire : indésirable ici ? Et s’ils essayaient de te gommer de la carte comme l’on efface une tache sombre ? Et si tu vivais dans un arbre, dans une boîte, dans une voiture ? Et si tu vivais ?
(Extrait de « Tzigane, le poème Gitan », de Cecilia Woloch, illustrant l’album Romanitude de Karine Garbarini).
Mais à la place des « Roms », j’éprouverais aussi les nombreux attachements ici et ailleurs, les liens forts avec des membres de ma famille même dispersée à quelques coins de l’Europe, ici des gestes précieux de solidarité, des attentions de passants, le lien avec des collectifs, la reconnaissance et la densité de relations d’amitié durables…
Quelques-uns de tes sms.
Quand tu étais à la caravane.
J’aurais dû les garder.
Mais je ne voulais pas être l’ethnographe de notre relation.
Et je résistais de tout mon corps aux injonctions qui m’étaient faites par certains collègues : « tu devrais en faire un terrain de recherche ! »
Tes mots étaient précieux. Ils le sont toujours mais je n’en ai pas gardé la trace.
Je les recevais souvent comme des coups de poing dans l’estomac. Ils me faisaient tourner en cage dans mon bureau. J’aide ? J’aide pas ? Comment ? Jusqu’où ? Au mieux pour toi ? Au mieux pour moi ? J’étais confortable dans l’engagement militant collectif. Là, je m’engage dans une relation interpersonnelle, dont il est plus difficile de se dégager en laissant les autres continuer quand l’épuisement nous gagne…
Ces mots :
« Je suis pauvre, Madame ».
« ça va ? » « oui, et toi ? » « moi, je pleure. Les enfants ont faim et j’ai rien à leur donner »
« J’ai froid ». La caravane prise sous les congères des neiges de 2013.
Sans plus de commentaires.
Des constats. Glaçants.
Bruts.
Contre lesquels on ne peut rien.
Qui engluent.
Pas même une demande.
Chaque jour est un nouvel enjeu.
Rien devant toi.
Et pourtant beaucoup.
Rien car au moindre incident accident, tout est remis en cause, bouleversé. Rien pour faire face aux aléas auxquels pourtant tu es plus exposée que la plupart.
Je ne sais pas comment le corps peut se tenir tout entier dans l’ici et maintenant, puisque l’ailleurs et l’à-venir semblent tellement inoccupables.
Et pourtant, beaucoup. Des valeurs. De l’intégrité. De la dignité. Des projets pour les enfants.
Quand Ricardo dit qu’il en a marre de l’école, tu lui réponds vertement « tu préfères aller mendier, c’est ça ?? »
Où vas-tu les pêcher.
Maintenant c’est différent. Autour de toi, davantage de réseaux, d’amis, d’associations, de ressources possibles pour l’à-venir.
Ça change radicalement la manière de se tenir dans le monde.
Un de tes mails, maintenant que tu t’es mise à l’ordi :
« merci que je arive plus loin une bonne nuit »
Ça résonne pour moi très fort avec l’expression d’Hassan, un guide touristique marocain, qui me disait que son métier de rencontre lui permettait de « penser plus loin ».
Plus loin…
Pourtant, tu éprouves encore très régulièrement l’impuissance dans tout ton corps.
Quand ta belle-famille t’oblige à contribuer au rapatriement d’Allemagne en Roumanie du corps du frère de Bobi, décédé dans un accident de voiture.
Quand ton frère a crucialement besoin d’une grosse somme d’argent au risque de perdre sa jambe car l’hôpital roumain ne connaît pas le principe de solidarité.
Quand le passé lointain te rattrape.
Quand ton beau-père tombe sur la tête, depuis le toit de sa baraque dans un bidonville de la banlieue parisienne, et meurt.
Quand on t’embarque pour délit d’appartenance.
Il faudrait entraîner sur le chemin de la stabilité économique et sociale toute ta famille élargie pour espérer souffler un peu.
Puisque tu n’as rien, et que j’ai, tu me dis, à ces moments les plus difficiles, que j’aurais été plus tranquille de ne jamais t’avoir rencontrée.
Qu’il vaudrait mieux que tu disparaisses.
C’est toi qui le dis. Pas moi.
La tranquillité, c’est l’absence de vivant.
C’est pas tout à fait
Avec Bobi, sous la pluie, tu essaies de gagner de quoi acheter un paquet de cigarettes en signalant aux automobilistes les places de parking libres.
Je travaille dans un café pas loin.
Échanges sms. Que, là, j’ai notés.
— ça va ?
— je rien faits et je suis déjà trompe
— Trempée… ma pauvre…
— oui ma riche
— 😉
— Si no tu pars avec ta voiture tu reviens et je gare ta voiture et tu me paye une paquete tigarete ok ?
Tu me fais rire-sourire-tendu.
Ai-je dit combien nous rions ensemble ?
Prononcées avec désinvolture. Vos expressions favorites.
Toi : « ben tant pis ! »
Bobi : « c’est pas grave… ».
Un grand réalisme, fatalisme.
Comprich comprich.
« C’est comme ça ».
« C’est pas tout à fait. » N’attendez rien derrière. La phrase ne comprend pas de point de suspension. On traduirait sans doute, selon le contexte, par « ce n’est pas satisfaisant » ; « ce n’est pas vraiment ce que j’attends » ; « ce n’est pas tout à fait juste, c’est un peu à côté ».
Tensions fortes entre le personnel et le politique. Comment agit-on collectivement ? Contre une situation qui est faite à un si grand nombre ? Pas seulement celles et ceux des bidonvilles, désignés abusivement par le prisme d’une catégorie ethnique. Mais tous les migrants qui tracent leur route vers un ailleurs. Et celles et ceux qui, sans migrer, sont coincés dans un ici et maintenant. Tous ceux qui subissent, résistent, font avec, la violence économique.
Comprendre
La sociologie me semble vaine.
On peut bien causer de socialisation par corps, de dispositions, d’héritages, de cadres de l’expérience,
ou
de la capacité réflexive des acteurs, de la construction du social par et dans les interactions.
Oui, on peut bien causer.
Mais peut-on saisir l’élan vital par un quelconque concept ?
Peut-on formaliser ce qui relève de l’énergie qui nous traverse, qui nous pousse, qui nous arrête, qui nous plaque au sol, qui nous fait nous trouver ou nous perdre ?
Comment penser ce qui s’éprouve dans les corps ?
Le corps
Tu essaies de trouver les mots pour me dire ce que tu ressens quand tu es sur le campement. Tu peux t’y poser jusqu’au lever du jour en ne voyant pas les heures passer, embarquée par les discussions et les rires et l’oubli de la charge du jour. Tu y passes régulièrement des nuits blanches, rentrant le matin pour dormir à la maison.
Ton corps s’y sent bien. Tes gestes et ta voix s’y font plus amples et sonores.
Je résiste à l’interprétation culturaliste. Car elle prend bien trop le risque de t’y assigner.
Oui, tu y es bien car tu partages les mêmes codes, les mêmes manières de se tenir au monde, dans le monde, contre le monde.
Bien sûr.
Le corps est intimement socialisé. Le social intimement incorporé.
Mais c’est aussi histoire de confiance.
Donc d’interactions.
Prises dans la toile des politiques publiques.
Des politiques municipales et nationales qui fabriquent ce qui devient une altérité radicale, et par suite, les conditions de votre entre-soi.
Reconnaissance de soi dans l’autre
Tu aimes te plonger dans les faits divers.
Tu veux me montrer sur ton téléphone les photos de ce petit garçon gravement brûlé dans la caravane il y a quelques mois, hospitalisé depuis à Lens. Ou les photos des cendres de cet autre abri de fortune, sur le campement de Mazaï, parmi lesquelles on devine une couverture de survie qui recouvre, on le sait, ce qui reste d’un enfant.
Tu aimerais que je m’installe à tes côtés pour regarder le long film amateur de l’enterrement de tel ou telle en Roumanie que les familles mettent sur Youtube.
Je refuse chaque fois. Et vous demande de baisser le son — les plaintes et les pleurs des familles me pèsent quand je partage la même pièce.
La Voix du Nord relate le décès d’un p’tit bout d’chou de 4 ans, tombé dans un puisard dans la région Nord-Pas de Calais. Ta nièce âgée de 7 ans est décédée l’année dernière en Roumanie dans les mêmes circonstances.
Tu t’y reconnais. Tu la reconnais.
Y’a des fantômes dans ta vie Ana. De vrais fantômes.
Qui visitaient tes nuits d’enfant.
Qui visitent aujourd’hui les enfants du campement. Ils le racontent.
L’empathie enfantine – la compréhension des cadres – l’intériorisation du stigmate
Les différences culturelles. Le niveau sonore. Les odeurs. La manière de se tenir. De considérer son corps.
Ricardo, quand on est allés à l’ouverture d’un atelier d’artistes ensemble avec ta sœur, tu m’as demandé en sortant « ça va ? je me suis bien comporté ? ». Ben oui bonhomme. Comme n’importe quel autre enfant. Avant d’être rom, roumain, acculturé, déculturé, transculturé. Tu es un enfant.
A Cassandra qui crache au sol de votre chambre les carcasses de graines de tournesol, tu jettes un « hé ho, tu te crois à la caravane ou quoi ? »
On a déjà oublié, toi qui manipules l’ordinateur avec de plus en plus d’aisance, que tu t’étonnais les premiers jours dans la maison que l’électricité fonctionne aussi dans la journée.
Après une altercation bruyante entre adultes roms, tu t’adresses à moi de manière grave et discrète, sur le ton de l’évidence :
« T’en as marre de vivre avec des Roms, hein ».
P’tit bonhomme à l’empathie incongrue pour ton âge.
Tu te mets à ma place.
Tu n’as pas à le faire, je ne te le demande pas.
Et quand bien même cette situation m’aurait agacée, ça n’aurait pas eu nécessairement comme corollaire que « j’en avais marre de vivre avec des Roms ».
J’étais tranquille.
Mais tu sais intimement que « notre » (celle des gadjé) manière d’interagir, de nous parler, de gérer nos différends, de nous interpeller, n’est pas semblable à celle de ta famille et de vos compatriotes.
Et parfois s’y oppose.
Et même si tu es dans le présent, même si tu es sorti de « on vit chez toi » pour me dire parfois « tu vis chez nous » ce qui nous fait rire, tu rappelles aussi que vivre ensemble n’est pas une situation tout à fait ordinaire.
Tu navigues, tu circules, tu traverses, tu comprends.
Je ne manifestais ce jour-là aucune irritation.
Comme souvent avec vous, j’ai même une zone de tolérance beaucoup plus large aux bruits, aux odeurs, aux mouvements, aux gestes.
Les odeurs.
Celles du camp.
Celles des moments où c’est compliqué d’aller chercher l’eau dans le froid dans la boue.
Celles de quand on est trop nombreux dans une même pièce.
Celles du feu. Dans vos habits dans vos cheveux. Je sais quand on se câline les loulous si vous revenez de chez Mazaï.
Parfois, mes sens sont saturés.
Mais je suis pourtant tout contre. Dedans. Sans recul.
… le soi de l’accueillant n’est jamais assuré de garder sa voix intacte quand il fait entrer l’autre voix chez lui.
(Guillaume Le Blanc, ce philosophe que je relis quand je cherche à nouveau à comprendre les enjeux politiques de l’hospitalité).
Bon d’accord… j’ai bel et bien été prise de panique quand huit hommes sont venus tenir un conseil de famille à la maison, que j’ai été corporellement insupportée par ce qui était pour moi un envahissement agressif de notre espace partagé, que je vous ai sommés oui sommés d’aller le tenir ailleurs, et que je vous ai retrouvés incongrument en train de poursuivre ce conseil sonore sous les fenêtres de nos voisins tout proches… Cela m’a mise hors de moi ! hors de chez-moi.
Mais même au cœur de ces discordances, on chante ensemble joliment. On fabrique de la belle musique.
D’un amoureux qui prend une place avec nous dans la maison, tu me demanderas, Ricardo, secrètement :
« Mais… il sait que tu vis avec des Roumains ?
— Ben oui ! Évidemment !
— (étonné et suspicieux) Et il a toujours envie d’être amoureux de toi !?
— Ben… j’ai l’impression que ça fait partie de mon charme. »
Entends cela Ricardo — pour te départir de la peur que tu as pour moi de la contamination/contagion par ton stigmate :
On peut gagner à vous connaître.
La réciprocité
Une femme du campement sur lequel vous viviez, qui mendiait devant un supermarché près de la maison, m’annonce, heureuse de pouvoir me faire plaisir, qu’elle a mis de côté un pantalon pour moi parmi les fringues apportées par des associations (vous, femmes roumaines, ne portez que des jupes).
Depuis un an, je pourrais être rhabillée grâce à toi Ana, grâce à ta belle-mère, grâce à tes dons de dons.
Un p’tit bonhomme de 7 ans dans sa caravane où on m’offre une tisane me montre son doigt coupé par un accident de charrette en Roumanie. Je lui montre ma cicatrice dans le cou. Lui sa cicatrice à la cuisse. Moi celle de ma cheville. Surenchère des accidents de la vie. Tentant de les mettre à égalité. Pour tenter de réduire, sans être dupes, l’ampleur de ceux qui vous assaillent au quotidien dès la toute petite enfance.
On a ri.
Je découvre les astuces du pauvre. Les braderies des pauvres. Les pneus jetés à la benne derrière Norauto que Bobi me déniche pour réparer à tout petit prix la crevaison de ma Polo. Les rebuts de moquette à Saint Maclou pour faire un paillasson à la maison ou pour le sol de la caravane de Mazaï. La récup dans la rue : un petit meuble pour chaussures pour que notre entrée ait moins l’air d’un lieu de culte hyper fréquenté ; un grand écran un jour pour votre télé !
Chacun est offreur de ressources pour l’autre.
Tu cuisines pour la maison. Le chou farci (je l’adore !), le bortsch, le poulet à l’ail et la mamaliga.
Tu m’embarques pour un repas à la caravane chez Mazaï.
Je vous emmène au théâtre : le Vivat, et Bobi répond au téléphone et sort en pleine représentation ; en réponse à mes yeux désespérés (nous sommes au premier rang) : « c’est pas grave ! » ; à la Verrière ; à la maison folie Moulins. On va pique-niquer au parc Jean Lebas parmi les autres familles lilloises. A Lille Neige, la patinoire, Bobi pour la première fois de sa vie sur des patins, on n’est pas loin de la performance circassienne ! On va emprunter des livres à la bibliothèque de quartier ensemble. On boit un café en terrasse à l’Espace Culture de la fac, quand je fais une pause dans mon boulot : pile à mi-chemin entre ta caravane et mon bureau installés/séparés sur le même campus.
A tous ces moments, qu’on vit pour eux-mêmes, pour les plaisirs de la découverte et de l’échange, quelque chose nous dépasse.
Sans que ce soit notre intention première
– on « manifeste ».
La possibilité de la co-présence. La possibilité de l’échange. De la circulation ensemble.
La possibilité de l’amitié.
Les gaffes
Cassandra, tu viens joyeusement me faire une farce en brandissant un doigt d’honneur derrière le carreau de la cour qui nous sépare. Très vite ton geste se transforme. La main qui suit un mouvement de bas en haut avec les doigts placés de manière significative s’ouvre et se rabat et se plaque sur sa bouche. Tes yeux plissés de coquinerie s’ouvrent grands d’« auto-étonnement ». Ton sourire se crispe. Ils viennent dire ta légère honte, ta soudaine gêne, de te rendre compte par toi-même, avant même qu’on ait pu te le renvoyer, que tu étais « à côté ».
Un geste joyeux, banal et taquin — insulte grossière chez « nous ».
C’est au cours même du geste, en plein cœur du mouvement, que son cerveau ou son corps ou les deux puisque c’est la même chose, lui ont lancé l’alarme.
On a ri ! encore.
Ricardo : « depuis combien de temps tu es sociologue ? »
Moi : « depuis 15 ans »
Toi : « tu as trouvé ce travail tout de suite quand tu es arrivée en France ? … enfin je veux dire… »
Le semblable
Ma tante te demande, Ricardo, ce que tu veux faire plus tard. Tu es gêné, peut-être par le regard porté sur toi futur adulte par trois Français dans la grande maison de ce couple que tu découvres. Tu nous réponds, avec le geste de celui qui saisit une grande pince, « Ben je sais pas comment ça s’appelle… je veux ramasser les papiers dans la rue et les mettre dans une sorte de bac ».
J’ai demandé à un gars de la ville qui décollait les tracts sauvages au moment des élections municipales comment on nommait cette fonction, en expliquant que je voulais pouvoir mettre un nom sur un désir d’enfant : « Agent de propreté ». Il lève les yeux de son ouvrage pour les planter dans les miens : « Mais faut pas qu’il fasse ça ! »
Je lui réponds que l’enfant n’a que 8 ans. Qu’il a encore le temps d’ouvrir ses possibles. Que j’ai confiance — il les ouvrira.
Plus tard, mon ami musicien me raconte qu’à ton âge, à la même question brutale d’adulte, il avait répondu « je voudrais faire des trous ».
Vous êtes semblables.
Quelques semaines plus tard, ton père signera un contrat d’insertion : « agent de propreté urbaine » de la ville de Loos…
Ana, on est allées toutes les deux au cinéma.
La femme du ferrailleur, du réalisateur de No man’s land, Danis Tanovic.
C’est une histoire qui « finit bien » car le père de famille rom bosnien trouve finalement les moyens de contourner l’inhospitalité violente assassine de l’hôpital, et son épouse aimée est sauvée.
Mais qui nous prend le ventre.
Car c’est pour aujourd’hui qu’elle est sauvée.
Et on saisit combien leur histoire va tourner en boucle.
Chaque aléa fera reprendre l’histoire au début.
Le tout fragile équilibre.
La fragilité des supports qui font qu’on tient un peu — seulement un peu.
On ne peut imaginer demain.
L’incertitude.
J’hésitais à te le proposer. Trop en miroir ? Mais tu sais décider. Et tu as dis oui. On a pleuré pendant le film. Les autres spectateurs respiraient bruyamment, par à coups, cherchant le souffle de la vie pour sortir de l’oppression de la fatale lenteur et du lent fatalisme.
En sortant, tu m’as re-raconté la bicoque de la grand-mère de Bobi dans laquelle vous viviez, l’isolement des Roms, la dureté de la vie des pauvres. La neige. Le bois à aller couper, ici aussi en France près de votre « campement » sur le « campus ». L’absence de travail.
« Quand t’as rien, t’es parfois bien obligé de voler, ou de trouver des solutions même quand elles sont pas légales. Tu te souviens du frère de Pénoucha ? Pour l’opération de son pied, il a fait pareil que le mari dans le film, il a pris la carte d’assurance de quelqu’un d’autre pour réussir à être soigné ».
Quelques semaines plus tard, c’est ton frère qu’il faudra secourir. En Roumanie, sa jambe gangrenée ne vaut rien pour le service impudique hospitalier. C’est 3000 euros qu’il faudra envoyer pour la sauver, pour espérer un geste médical plus élaboré que celui d’un boucher.
Un pauvre, français, nous a demandé de l’argent avant le cinéma. Incongruité de la demande d’un pauvre à une autre pauvre.
Tu m’as regardée, « tu vois, c’est ça la vie des pauvres ».
On rencontre régulièrement ensemble cette situation.
Un des premiers jours de soleil, on pique-nique à trois avec Bobi.
Un sdf français, alcoolisé, nous demande une cigarette. Sans un mot, il s’agenouille auprès de notre « tablée » (la vieille valise vide trouvée quelques heures plus tôt dans la rue — Bobi qui avec cette valise et son drôle de chapeau de cuir prenait drôlatiquement l’air d’un magicien prêt pour une performance dans le jardin bobo souvent investi par les artistes). Bobi lui donne finalement les quelques dernières taffes de sa cigarette. De longues minutes de silence ensemble. On finit par se lever. Nous n’avons échangé aucun mot, par crainte d’engager une conversation dont nous n’aurions pu tenir le cadre.
L’homme nous regarde, inspire profondément, et avec reconnaissance : « Merci de m’avoir écouté »…
Délit de faciès
Pourtant, on voit bien que vous êtes sans ressources. Mais les plus pauvres des plus pauvres ne semblent plus pouvoir le distinguer.
Une après-midi, on a passé un moment à trois Ana Bobi et moi dans un bar où j’ai l’habitude de m’installer pour bosser. On a pris un café ensemble. Vous êtes repartis, je suis restée travailler sur mon ordi. Le serveur m’a discrètement fait cadeau de vos deux cafés au terme de ma matinée dans son lieu. Délit de faciès généreux et soutenant. Nous pensions être des consommateurs anonymes.
Nous ne sommes jamais anonymes ensemble dans l’espace public.
A Lille Neige, j’ai seulement demandé si des tarifs sociaux existaient pour l’entrée à la patinoire. Ce qui n’était pas le cas. Mais l’ouvreuse nous a compté seulement deux entrées sur les quatre demandées.
La coiffeuse nous a offert un soin et la coupe pour la première séance de ton existence chez un professionnel capillaire, qu’on s’était offerte pour te faire jolie pour tes trois jours de formation à Paris.
J’avais adoré ce moment passé dans ce salon. Trois longues heures quand même !
Adoré les gestes professionnels de cette coiffeuse qui avait touché franchement tes cheveux pour en sentir la qualité et faire son diagnostic, comme elle l’aurait fait avec n’importe quelle autre cliente. Une amie s’étonne de ma réaction. Elle trouve le geste de la coiffeuse normal. Oui, c’est normal. Mais peut-être que c’est cela, que ce soit normal, qui est anormal.
Oui, c’est normal d’être tout autant professionnel avec Ana qu’avec n’importe quelle autre cliente.
Mais on peut prendre le temps de se réjouir de cette normalité-là. De ce toucher du corps sans recul, sans réticences, net, professionnel, précis.
Quand on a déjeuné ensemble dans une brasserie avec nos amis des deux « bords » Lazar et Bertrand, un client s’est adressé au patron : « tu donnes dans les Roumains maintenant ? ». Cela aussi, c’est normal.
C’est normal que Bobi soit embarqué au poste à la sortie de son boulot, à 17h, jusque 6 heures du matin, sans qu’il puisse nous donner de nouvelles, pour un simple contrôle de police. Qui d’autre peut se vanter d’avoir vécu une garde à vue en allant acheter un Fanta à la station-service ?
C’est normal aussi qu’une femme, depuis l’autre bout du parc, crie « au voleur !! » et s’excite contre Bobi qui nous rejoignait tranquillement, un ballon à la main, qu’il venait de dénicher dans un buisson. Il me faut un long moment de lente et douce explication, pour qu’elle se calme. « Bobi est un ami, il vient seulement de trouver ce ballon. Il sera très heureux, puisqu’il se trouve que celui-ci appartient à votre fils, d’avoir été à l’origine de son plaisir à le retrouver ».
Air plissé de doute…
« C’est votre ami ? »
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Document annexe
Déclaration du collectif Rrom actuellement hébergé à la bourse du travail, exproprié et expulsé du parking P4 de Villeneuve d’Ascq le 28 octobre
Mardi 5 novembre 2013
Chers concitoyens européens,
Pour la première fois en France, nous Rroms, voulons montrer à tous les citoyens européens que nous sommes capables de faire des choses qui n’ont jamais été accomplies jusqu’à maintenant, et ce parce que nos situations ne sont pas prises en considération, car nous les Rroms sommes considérés comme des chiens vagabonds et sans maîtres. C’est normal, puisque les problèmes auxquels nous devons faire face n’ont jamais été résolus, c’est pourquoi nous sommes discriminés comme étant des VOLEURS.
Premièrement, nous voudrions parler des problèmes familiaux. Nous sommes un groupe de 120 personnes expulsées lundi 28 octobre 2013 à 6h00 par la police nationale française en collaboration avec les CRS. Les caravanes (pour nous, nos maisons) ont été prises par la préfecture et déposées à la fourrière, avec pour motif que nous n’avons pas notre place ici. Nous sommes restés devant la station de métro ligne 1 à 4 Cantons jusqu’à 17h, jusqu’à ce que les militants, bénévoles et associations présents sur place et discutant avec nous nous ont proposé un lieu provisoire pour dormir. Nous avons été d’accord étant donné la situation de crise et étant donné que nous n’avons aucune solution. Arrivés à 18h à Fives à la Bourse du travail, les syndicats nous ont reçus avec chaleur et bienveillance, pour une nuit, ne sachant pas à ce moment qu’ils nous accueilleraient aussi longtemps.
Nos problèmes de santé sont les suivants :
– Une personne atteinte du cancer (en phase métastasique), la fille de cette dernière, née ici et malade, vient d’être opérée à cœur ouvert.
– Une personne avec une insuffisance rénale ayant été opérée et n’ayant plus qu’un rein, et qui doit à ce jour faire des dialyses 3 fois par semaine.
– Un jeune garçon de 14 ans qui lui aussi n’a plus qu’un rein.
– Une personne avec des crises d’épilepsie.
– Une personne atteinte d’arthrite chronique en phase terminale.
– Une personne avec des problèmes psychiatriques.
Nos problèmes d’éducation sont les suivants :
– De nombreux enfants sont dans l’impossibilité d’être scolarisés.
– Les dossiers de scolarité sont bloqués par la mairie de Villeneuve d’Ascq.
Nos problèmes de sécurité sociale :
– Dossiers CAF non résolus.
– les dossiers des personnes en incapacité non résolus (la personne sous dialyse et celle avec des problèmes psychiatriques).
Étant donné que nous sommes arrivés à vos portes. Avec tous nos problèmes nous demandons que tous nos droits soient pris en considération claire et visible. Nous vous remercions !
Merci à ceux qui nous ont aidé, qui sont et qui seront près de nous, spécialement ceux du CFDT, CGT, FSU, Union syndicale solidaires, le collectif Solidarité Roms et tous les militants et volontaires.
Aujourd’hui il nous est très difficile de nous intégrer, étant donné les barrières. Toutes les étapes de l’intégration nous sont refusées partout.
Nous voulons démontrer que nous sommes capables de travailler, d’éduquer nos enfants, d’être comme les autres, si vous enlevez les barrières qui sont devant nous depuis des années.
Pour tout cela, pour qu’on puisse vous prouver qu’on est capables, alors que depuis des années on est cachés, personne ne nous connaît, il faut que nos droits soient respectés.
De toute façon, nos allons continuer les manifestations jusqu’à ce que ceux qui nous ont expulsés nous acceptent !!!
Rroms sans liberté, égalité, fraternité ! — Pour le collectif Rrom : Ana Maria et Lazar
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Bibliographie sélective
Éric Fassin, Carine Fouteau, Serge Guichard, Aurélie Wendels
Roms et riverains. Une politique municipale de la race
Éd. La Fabrique, 2014.
Compte rendu de l’ouvrage par Élise Roche (Géocarrefour, 90/3, 2015), accompagné d’une sélection de références bibliographiques
Roms et riverains associe des textes de journalistes, d’un universitaire et d’un militant pour traiter de la « question Rom » dans les années 2010 en France. L’ouvrage débute sur un cadrage de la « question Rom » écrit É. Fassin. Cette introduction tire le constat d’un effacement des clivages politiques sur la « question Rom » en brossant un tableau des discours politiques au sommet de l’État. É. Fassin souligne ainsi la continuité qui affecte la construction de ce problème public malgré le changement de majorité parlementaire en 2012. Face à un traitement souvent ethniciste de cette « question » par les médias et la sphère politique, l’ouvrage prend le parti d’aborder les Roms non comme un groupe ethnique aux contours précis, mais bien comme un groupe minoritaire assigné à des discriminations. (Lire la suite)
Éditions Rue D’Ulm, 2011.
En France comme dans d’autres pays d’Europe occidentale, les bidonvilles du XXIe siècle semblent indissociables de la « communauté rom », perçue à la fois comme culturellement exotique et socialement marginale. Mais qui sont en réalité les habitants de ces baraques construites dans les interstices urbains ? A-t-on affaire à des « nomades insaisissables » ou à des migrants économiques comme tant d’autres ? Quels sont leur quotidien et les difficultés auxquelles ils sont confrontés ? Répondre à ces questions invite dans le même temps à interroger les causes de ce phénomène. Et celles-ci n’ont que peu à voir avec une quelconque appartenance ethnique mais renvoient à des réalités sociales, politiques et économiques qui concernent l’ensemble des habitants de la Ville contemporaine et, au-delà, toute l’Europe d’aujourd’hui. (lire la fiche)
Samuel Delépine, cartographie d’Alexandre Nicolas
Atlas des Tsiganes. Les dessous de la question rom
Éditions Autrement, 2012
Plus de 90 cartes et infographies inédites pour analyser la question rom, déconstruire les clichés et explorer la diversité des populations tsiganes. L’histoire complexe et tourmentée d’une mosaïque de populations : ils sont roms, sintí, gitans, manouches, gens du voyage… La réalité de leurs conditions de vie : accès au logement, à l’emploi, à l’école et au système de santé. Une particularité française : le statut des gens du voyage, un contrôle ethnique qui ne dit pas son nom. La « question rom », ou la construction politique d’un problème public européen. Original, didactique et accessible, cet atlas est indispensable pour mieux connaître les populations tsiganes sur lesquelles médias et politiques véhiculent nombre d’idées reçues. (lire la fiche)
Bertrand Verfaillie
Agir avec les pauvres contre la misère
Éd. Quart Monde/ éd. de L’atelier, 2016
“Aller vers l’autre est souvent risqué, nous dit Christophe Géroudet, membre de la délégation nationale d’ATD Quart Monde, dans la préface de l’ouvrage. Mais ne pas le faire peut l’être encore plus. Agir avec les pauvres contre la misère est possible et cela profite à tous. C’est la grande leçon de ce livre. Le lecteur la découvre au fil des rencontres que Bertrand Verfaillie a faites partout en France. ”
Des campements de migrants, des coformations avec des gens du voyage et des migrants demandeurs d’asile aux réunions des universités populaires Quart Monde, des accueils de personnes sans domicile aux expériences pilotes d’emploi d’utilité sociale, des rues des cités aux tribunes de l’Union européenne, l’auteur analyse une trentaine d’actions sur l’ensemble du territoire. Les acteurs interrogés sur leurs démarches en tirent des enseignements à la fois réalistes et stimulants.
(lire la fiche)