Un policier est venu et m’a dit : « C’est aujourd’hui le départ Bridji. Tu te prépares. Dans une heure on vient te chercher. » J’ai jeté mes quelques affaires dans mon sac comme un automate déréglé. J’étais comme un fou dans ma tête. Je n’arrivais pas à y croire.
Une équipe spéciale vient au centre de rétention avec son fourgon. Ils s’occupent de tous les transferts de prisonniers du centre. Ils sont venus me chercher pour m’emmener à l’aéroport et me remettre aux policiers d’Orly chargés des expulsions.
A Orly, les flics avaient mon dossier à la main. Ils m’ont dit : « si tu ne te tiens pas tranquille, on filera ton casier judiciaire à la police algérienne à l’arrivée. » Ça veut dire aller direct en prison. Au moins deux mois. C’est comme ça en Algérie. Les flics n’aiment pas qu’on leur renvoie des émigrés. Ils voient d’un sale œil les expulsés. Pour eux tu es une merde : tu as eu la chance d’être en Europe et tu te fais renvoyer ? Mais c’est que tu es un moins que rien. Ils n’apprécient pas du tout que les flics français leur amènent quelqu’un qui a fait de la taule là-bas parce qu’il a fait de conneries : ils disent « notre pays n’est pas une déchetterie ». C’est simple : pour eux, tu es un déchet, une pourriture, tu salis l’image de l’Algérie. Ils ne cherchent pas à comprendre, c’est la prison direct. Pour la forme. Rien que pour te faire les pieds. Et tu croupis deux mois ou plus en taule en attendant qu’ils veuillent bien te laisser sortir, s’ils ne t’y oublient pas. Donc, je me suis tenu tranquille. Je suis monté dans l’avion sans broncher et j’ai fermé ma gueule.
Avant de quitter l’avion, les flics m’ont dit : « comme tu t’es tenu tranquille… » et ils ont déchiré le casier devant moi. Du haut de la passerelle, je voyais les passagers descendre les escaliers, et se diriger vers le bus. A côté, il y avait un fourgon de flics. C’était pour moi. Les keufs algériens attendaient en bas de l’avion. En descendant la passerelle, je regardais autour de moi et je me disais : « Mais où je me trouve ? Où est-ce qu’on m’a envoyé ? C’est quoi ce délire ? Qu’est-ce qu’ils comptent faire de moi, les keufs algériens ? » J’avais peur, c’est vrai, mais je me sentais prêt à affronter ce qui m’attendait. Tous les passagers sont montés dans le bus. Moi, Mohamed Bridji, expulsé, je suis rentré dans le fourgon de keufs.
Ils m’ont emmené au bureau de police de l’aéroport. Et les formalités administratives ont commencé. L’administration, en Algérie, c’est encore pire qu’en France.
« C’est quoi ton nom ?
— Bridji Mohamed
— Tu écris ça comment ?
— B-R-I-D-J-I
— C’est quoi B ? »
Ce con ne savait pas écrire. « Tu es né où ? Prénom de ton père ? Nom et prénom de ta mère ? » Ils voulaient vérifier que j’étais bien algérien : les keufs français m’ont expédié en Algérie sans passeport, sans aucun papier d’identité. Les flics français avaient pleurniché auprès du consulat d’Algérie pour obtenir un laissez-passer. Sans quoi ils ne pouvaient pas m’expulser. Mais même ce bout de papier, ils l’ont gardé avec eux. Je n’avais sur moi aucun document. Il a fallu que je téléphone à ma parents pour qu’ils me faxent le livret de famille. En attendant, ils m’ont mis dans une cellule, avec des blédards qui revenaient de Turquie. Ça a duré toute la soirée. Dans le commissariat, j’entendais les flics parler entre eux de leurs petits trafics : « Tu m’as laissé ça là comme je t’ai demandé ? » Ils trafiquaient en plein commissariat. Ils m’ont laissé partir à une heure du matin. Pour finir, le keuf qui me rendait mes papiers m’a dit : « Si tu veux te vider les couilles, il y a de quoi au centre ville. C’est plein de petites salopes. » C’était sa manière de dire bienvenue. J’avais envie de lui répondre « Nique ta mère enfoiré. » Franchement j’étais dégoûté.
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Archives INA – JT d’Antenne 2, 19 octobre 1986
Le manifeste des expulsés. Errance, survie et politique au Mali
Clara Lecadet, Presses Universitaires François-Rabelais 2016
Préface : Etienne Balibar