Refoulé

Chapitre 1. Refoulé

En arrivant sur l’Afrique, les nuages qui couvraient la mer se sont dispersés. Par le hublot, je voyais la côte approcher. C’était la sécheresse en bas. Plus l’avion descendait, plus on voyait que c’était sec. Ce n’était pas vert comme au dessus de Paname. Un autre monde. Deux heures et demie de stress à me demander ce qui allait se passer en arrivant de l’autre côté. Et nous étions de l’autre côté.

Expulsion : l'arrivée sur Alger

Expulsion : l’arrivée sur Alger

L’avion survolait les banlieues d’Alger. Je sentais une boule dans mon ventre. J’étais collé au hublot, deux flics français sur les sièges à côté de moi. L’avion a atterri et s’est mis à rouler sur la piste. C’était interminable. Quand il s’est arrêté de manœuvrer, tout le monde s’est levé pour récupérer les bagages. Il y avait des gens seuls, des couples, des familles avec des mômes, des chibani, des daronnes algériennes. Il y avait même une vieille au visage tatoué qui avait mis son habit traditionnel kabyle avec tous ses bijoux, comme pour une fête. Je n’étais pas vraiment d’humeur à la fête mais elle faisait plaisir à voir. Tout le monde s’est levé en même temps. Ils étaient contents d’arriver, pressés de retrouver la famille du bled qui les attendait à l’aéroport. Moi je suis resté assis, coincé derrière les deux flics qui m’avaient dit d’attendre que tout le monde sorte. J’en avais marre d’être assis. J’avais un furieux besoin de bouger. « Putain, qu’est-ce que je fous là ? Qu’est-ce qu’ils vont faire de moi, les Algériens ? »

Au centre de rétention le matin…

Au centre de rétention le matin…

Au centre de rétention, le matin, mon nom s’était affiché sur l’écran des départs. Chaque jour, ils annoncent les vols de la journée sur un écran, avec le nom du gars expulsé en face. C’est un pote qui m’a dit : « téma Moha, il y a ton avion qui est affiché ». Je suis allé vérifier sur l’écran : il y avait bien mon nom. Bridji Mohamed, vol pour Alger, telle heure. J’hallucinais. Je n’avais jamais pensé sérieusement qu’ils pourraient m’expulser. Après 15 ans de vie en France ? J’avais quinze ans quand je suis arrivé en décembre 1997. J’ai toujours été en règle pour la carte de séjour jusqu’à ma dernière incarcération. Mes parents ont la nationalité française. Mes sœurs et mon petit frère ont la nationalité française. Toute ma famille habite en France, tous dans le 93. Quand j’ai quitté l’Algérie j’avais sept ans. On a vécu avec ma famille huit ans en Allemagne, puis quinze ans en France. Je n’ai vu l’Algérie qu’une seule fois en vacances quand j’avais vingt-trois ans. Je ne pouvais pas croire qu’ils allaient vraiment m’expédier en Algérie. D’accord j’ai la nationalité algérienne, mais je n’ai rien à voir avec l’Algérie. Chez moi, c’est Paname, c’est le 93, c’est Tremblay. Pourquoi est-ce qu’ils m’enverraient dans un pays que je ne connais pas ? Comme ça, tout seul, sans argent, sans rien ? C’est complètement ouf. Franchement je ne comprenais rien. Je me disais qu’ils m’avaient baisé. Ils voulaient me voir mort. Ils voulaient m’écraser.

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