Qui nous protègera de la police ?
Atelier de philosophie plébéienne
Gîte Le Closet Fertans (17-19 gde rue, 25330)
Samedi 8 février 2020
Atelier… cela veut dire un essai d’abandon de l’autorité du maître et de la posture d’élève au profit d’une tentative de production en commun.
Centre de Réflexion et de Documentation sur les Philosophies Plébéiennes de l’association « Voyons où la philo mène… »
Voir le site du réseau de philosophie plébéienne
Argumentaire
« Ce gouvernement, je le caractérise d’un mot : la police partout, la justice nulle part. » Victor Hugo, le 8 avril 1851, à l’Assemblée.
There Is No Alternative : le slogan résume et régente la politique néolibérale mondiale et ses gouvernements (de droite comme de “gauche”) depuis quarante ans. Il concentre sa doxa, pourrait-on dire ; avec ses implications logiques et implacables : celles d’une répression toujours croissante, toujours plus violente, criminalisant mouvements sociaux et toutes formes de contestations et d’oppositions vives. Rien ne doit venir contrarier, ne serait-ce que par l’exemple, d’autres possibles non-capitalistes.
Dès lors, police et justice devront être toujours plus aux ordres du pouvoir d’État, lui-même toujours plus indistinct, structurellement et idéologiquement, de l’oligarchie bourgeoise mondialisée, de ses intérêts financiers et logiques prédatrices, aux conséquences désormais sur-visibles : explosion des inégalités et destruction des liens sociaux et du vivant.
Le Roi est nu et l’illusion (l’attrape-nigauds) du néolibéralisme a fait long feu et s’affiche désormais sans complexe pour ce qu’elle est ; une gouvernementalité toujours plus autoritaire, voire totalitaire et/ou néofasciste. Y compris dans ses dimensions disséminées et sous les dehors participatifs qu’elle affiche : ce pouvoir n’est pas lié qu’à la verticalité étatique mais aussi à l’horizontalité des conduites de concurrences, qui constituent une autre forme de la même police.
L’état d’urgence – et probablement, bientôt, “d’exception” – tend à devenir la règle. La mise en place d’une police de guerre civile, repérable dès les rassemblements altermondialistes des années 90, et, en France, dès les “émeutes” de 2005, est couplée à une “justice” caricaturale. Elle s’inscrit dans la logique même d’une société de contrôle et de surveillance (et d’auto-surveillance) généralisée, rendue possible par le capitalisme high-tech et les conduites qui lui sont liées.
Quoi de surprenant, dès lors, que les violences policières s’imposent “en retour” comme une politique en tant que telle ? Celle du bâton sans la carotte. Que dire en effet d’une société qui tend à réaliser le PreCrime de Minority Report ? Une société où un sénateur entend interdire le fait de filmer et de photographier les “forces de l’ordre”, et où une vieille dame est condamnée pour avoir utilisé son fauteuil roulant “comme une arme”? Sans parler des éborgné·e·s, mutilé·e·s, assassiné·e·s, des menaces de mort proférées, toutes choses auxquelles nous serions supposés être désormais habitués, et qui n’ont cessé, bien antérieurement, d’être le lot des quartiers populaires sous gestion raciste.
9h Accueil
9h15-10h45 « UN TERRAIN À MARSEILLE : Racisme d’État et subjectivation fasciste de la police » Christiane Vollaire
Marseille, novembre 2018. Depuis le début du mois, les effondrements d’immeubles, qui ont fait huit morts en plein cœur de la ville, sont à l’origine d’un immense mouvement de protestation. La réponse est l’envoi de la BAC, police néo-coloniale des quartiers populaires, et de ses diverses variantes, jetées comme des fauves contre les protestataires.
Dans le même temps, les vigiles qui protègent la gentrification du quartier de la Plaine utilisent quotidiennement chasse à l’homme et menace de viol pour terroriser ceux qui veulent défendre leur quartier.
La dimension structurelle d’une violence d’État classiste et raciste, couplée à une « société de vigilance », se déploie. Mais elle a besoin pour cela d’un corps expéditionnaire ayant parfaitement subjectivé l’infériorisation et un droit à la violence qui ne trouve plus de limites. Une forme de paramilitarisation de la police dont les occurrences se rencontrent aussi en Grèce et ailleurs pour mettre en œuvre non pas seulement de la brutalité physique, mais des procédures d’humiliation dissuasives dont l’insulte et le viol sont des modalités symboliques.
Au cours de la manifestation du 1er décembre à laquelle nous nous joignons, Zineb Redouane est tuée d’un tir tendu de gaz lacrymogène pour avoir tenté de fermer sa fenêtre. Elle n’est ni opposante ni protestataire, mais seulement arabe.
On souhaite interroger ici la diffusion de ces modes de subjectivation racialement violents, étendus aux formes antagonistes d’ une haine de classe envers les « intellectuels », dans les corps paramilitarisés des forces de l’ordre, à partir de ce bref terrain à Marseille.
11h-12h30 « Une expérience de la violence d’État ancrée dans l’histoire coloniale » Mohamed Bridji & Laurent Bazin
Mohamed Bridji (cuisinier, travailleur sur les marchés) et Laurent Bazin (anthropologue, chercheur au CNRS) ont fondé ensemble l’association Le paria et préparent un livre commun sur leurs parcours croisés autour des dispositifs d’oppression et de leur ancrage colonial.
L’expérience de Moha est celle de la discrimination, du délit de faciès, de la prison, de l’expulsion, de la garde à vue, du tabassage, de l’étroite association entre violences policières et violence judiciaire, dont le travail de Laurent éclaire le contexte et les enjeux à partir de leurs échanges.
Apéro puis repas
15h – 16h30 « La “justice pénale” a toujours été une guerre » Olivier Razac
Je propose de parler du pénal, effectivement en croisant les aspects gestionnaires actuels et la philosophie politique de la souveraineté (part. Hobbes). L’idée est de montrer que dans des politiques de souveraineté le pénal est impensable autrement que comme quasi-guerre (c’est-à-dire que le fait de ne pas éliminer les déviants comme des ennemis est une forme guerre « retenue », in fine un choix essentiellement pragmatique de gouvernement, sans véritable fondement juridique). Le « néolibéralisme » ne change pas fondamentalement la donne, au contraire, simplement il développe les technologies de gestion médiatrices (probation) qui culminent nécessairement dans le point d’absolu souverain de l’élimination.
17h-18h30 « Jaune Horizon » Philippe Bazin. Projection du film et échanges avec Philippe Bazin
Le film se présente comme un film d’artiste pour une exposition et non comme un film documentaire à projeter en salle de cinéma. La projection in extenso lors d’une séance peut du coup paraître longue. Le film a été réalisé avec les 724 photographies prises lors de ma participation à la 2e Assemblée des Assemblées à Saint-Nazaire du 5 au 7 avril 2019. Aucune photographie n’a été retranchée, estimant que chacune est une part d’une expérience individuelle et collective vécue. Le film reconstitue ainsi, même partiellement, une atmosphère qui évoque le Serment du Jeu de Paume. En contrepoint, la bande son s’affirme dans un esprit de distanciation. Elle résulte d’improvisations au piano de Jacqueline Gueux montées par Gilles Fournet. En revanche, des cartons de textes, comme au cinéma muet, reproduisent l’intégralité de la 5e résolution issue de cette Assemblée, celle concernant les violences policières.