Art censuré – Une œuvre de l’artiste Thierry Toth évoquant la mort de Wissam El Yamni retirée d’une exposition

Thierry Toth : Bon… J’ai un truc à vous dire. Et c’est pas joli joli…
publié sur son site le 7 février 2020

Lire l’article sur le site de Thierry Toth

Katsushika Okusai : Reflet du mont Fuji dans le lac Kawaguchi, vu depuis le col Misaka dans la province de Kai

Il y a quelques mois maintenant, j’ai été invité à participer à une exposition collective avec pour thématique “Les 36 vues du mont Puy de Dôme”, en référence aux 36 vues du mont Fuji d’Hokusaï (une série qui parle du paysage, de l’influence humaine sur ce dernier, de la vie autour du Mont Fuji.

L’exposition doit se dérouler au Conseil Départemental dans le courant de l’année.

Pour ma participation, j’ai réalisé un tirage qui fait référence à la nuit du 01 janvier 2012 dans les quartiers Nord de Clermont, le Puy de Dôme en fond, quand Wissam El Yamni a été embarqué par la police et ne reviendra jamais. Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas cette affaire : Wissam est décédé des suites d’un coma 9 jours et demie après son arrestation. L’affaire est une caricature, le procès se dirige vers un non-lieu, des témoins n’ont jamais été entendus par la justice, des photos disparaissent, la présence cachée pendant des mois des 9 voitures de police sur place le soir de l’arrestation, la liste est longue et terrifiante. (je vous mets des liens d’article de presse en fin de note, si vous voulez en savoir plus).

Avec du recul, je me dis que j’ai été relativement sage avec cette image, sachant que l’expo se passerait au CG [NDLR : Conseil départemental], je voulais que ça passe. Aucune silhouette humaine n’est représentée, je ne parle pas d’acte, j’y parle d’absence, celle de Wissam, celle des policiers. J’y parle d’un enfer. J’ai représenté 3 bêtes, mi loups, mi chiens, la brigade canine étant présente ce soir-là. En fond, des barres d’immeubles et le Puy de Dôme :

Le titre de l’image : Wissam El Yamni 1981-2012 (par Thierry Toth)

Pour cette expo, un film a été tourné afin de présenter les différentes techniques de l’estampe. Pas de chance, c’était moi qui était filmé pour la sérigraphie, et le titre y figure, ils l’ont vu et la machine s’est mise en route.

A partir de là, il faut bien vous dire que je n’ai eu que des retours indirects, jamais personne du CG directement de visu ou au téléphone, impossible de défendre mon travail personnellement.

De ce qu’on m’aura transmis, le CG ne “souhaite pas prendre parti dans cette affaire” prétextant que le procès est toujours en cours, et souhaiterait donc retirer mon image de l’expo.

L’image étant présente dans le film, il était difficile de me faire sauter sans laisser des traces.

Une proposition leur a été faîte (bien malgré moi) de retirer le titre pour pouvoir garder le film et ma sérigraphie ; de ce que j’ai compris, ils étaient prêt a accepter ce “compromis”.

L’image passerait donc seule, sans le titre, sans son nom. Outre la violence symbolique d’effacer le nom de Wissam du tirage, c’était retirer tout le contexte et prouver par là-même que le problème était bien le fait de parler de Wissam.

La polémique n’est pas dans l’image, elle est déjà là partout autour de nous, ils ne veulent juste pas en parler, ne pas “prendre parti”, on nage en pleine double pensée. La guerre c’est la paix, se taire c’est la neutralité.

Effectivement, ce n’est pas la vision du Puy de Dôme qu’ils devaient attendre, mais c’est la mienne. J’ai bien sûr refusé de retirer le titre, je saute donc de l’expo, on trouve un remplaçant, ils refont un film. D’autres artistes sont partis en apprenant ce que je vous raconte ici, on les remplacera aussi.

Un artiste ou un autre après tout…

Autre détail révélateur dans cette histoire : si j’ai bien compris, les élus ne sont même pas au courant. La décision est prise en amont, chacun.e prenant soin de mettre sa petite pierre au mur qui cachera le nom qu’on ne veut pas voir, une entreprise collective qui va de soi, sans que personne ne soit vraiment responsable… Ou alors un peu tout le monde.

Qu’on se comprenne bien, s’il s’agissait juste de mon image, de mon travail, je ne sais même pas si j’en parlerais ici. Que mon travail ne passe pas dans le cadre institutionnel du CG après tout, je survivrais.

Mais il ne s’agit pas de ça ici, il s’agit de taire ce nom, participer au tabou ; et ce que ça révèle de la lâcheté institutionnelle, de la violence que subit la famille El Yamni depuis plus de huit années maintenant, d’autant plus dans le contexte actuel de violences policières… C’est lâche et insupportable.

Je vais exposer l’image dans mon atelier. Elle sera moins vue. Ils auront gagné ça mais elle aura sa vie malgré tout. Je ferai une vente au profit du comité Justice et vérité pour Wissam. un petit événement, une rencontre, un fanzine… Je ne sais pas encore.

On verra bien.

(Accéder au site de Thierry Toth)

Dossier de presse
Violences policières. Vers un non-lieu dans l’affaire Wissam El Yamni
Par Lola Ruscio, publié dans L’Humanité le 9 janvier 2020
Huit ans après l’ouverture de l’information judiciaire sur le décès de ce jeune homme suite à une interpellation par des policiers, l’instruction s’est bouclée sans aucune mise en examen. La famille redoute un non-lieu dans ce dossier symbolique de l’impunité policière.

L’affaire Wissam El-Yamni est en passe de s’éteindre. Comme nous le révélons, la juge d’instruction a décidé, en novembre dernier, de clore cette enquête qui dure depuis huit ans en ne prononçant aucune mise en examen à l’encontre des fonctionnaires de police impliqués. Et ce, alors qu’une récente expertise judiciaire continue de mettre en cause, de manière accablante, les conditions de leur intervention. Qu’importe, la justice considère avoir terminé ses investigations sur la mort du chauffeur routier de 30 ans, interpellé violemment dans la nuit de la Saint-Sylvestre 2012, dans un quartier populaire de Clermont-Ferrand, et décédé quelques jours plus tard à l’hôpital. (lire l’article)

Affaire Wissam El Yamni : à Clermont-Ferrand, ses proches redoutent un non-lieu
Pubiié par France 3 Auvergne le 10 janvier 2020
L’information judiciaire concernant la mort de Wissam El-Yamni après son interpellation par la police en 2012 se termine. Après huit ans de procédure, aucune mise en examen n’a été prononcée par la juge en charge de l’instruction. Les proches du jeune homme redoutent un non-lieu.

épilogue d’une longue saga judiciaire semble proche. Et sans éclat. Au bout de huit ans d’instruction, l’affaire Wissam El-Yamni pourrait bien se solder par un non-lieu. C’est en tout cas ce que craignent sa famille et ses avocats .A l’issue de la procédure, les deux policiers visés par l’information judiciaire ouverte dès le 6 janvier 2012 ne sont pas mis en examen. Incompréhensible pour les proches de la victime. « On essaie d’enterrer le dossier, jusqu’à ce que la famille se fatigue. Sauf que nous on ne se fatiguera pas. On sera encore et encore et encore… et encore là » martèle en ce début 2020 Marwa El-Yamni, la petite sœur de Wissam. Un point de vue partagé par maître Jean-Louis Borie, l’avocat de la veuve de Wissam : « C’est un dossier dans lequel on nous a endormi avec des fables et des explications médicales fantaisistes pendant des années. On a enfin maintenant un rapport  d’expertise qui nous dit que le décès de Wissam est causé par l’intervention d’un tiers. C’est clair, net et précis, et au lieu d’en tirer les conséquences en terme de mise en examen des policiers concernés, la juge d’instruction rejette toutes nos demandes d’actes et nous signifie la fin de l’information (judiciaire) ». (lire la suite de l’article)

Affaire Wissam : malgré les preuves médicales, le déni judiciaire menace la vérité
par Davy Delfour, publié sur Mediacoop le 10 janvier 20
Malgré une nouvelle expertise médicale confirmant l’implication d’un tiers dans la mort de Wissam El Yamni, l’affaire risque à nouveau d’être enterrée. La famille, qui a tenu une conférence de presse ce jeudi 9 janvier, appelle à continuer le combat.

« L’enterrement médical, c’est terminé ; on a échappé au non-lieu. » C’était le commentaire plein d’espoir que formulait maître Borie, avocat de la famille El Yamni, en février 2019. Il venait alors de recevoir une nouvelle expertise médicale mettant en cause l’implication d’un tiers dans la mort de Wissam, décédé en 2012 après son interpellation par la police clermontoise. Mais ce jeudi 9 janvier 2020, au huitième anniversaire du drame, le ton de la conférence de presse tenue par la famille, les avocats et le comité de soutien est amer. Malgré ce nouvel élément, la juge d’instruction a refusé la réouverture du dossier et les actes supplémentaires demandés par les avocats. (lire l’article)