La famille de Liu Shaoyao, tué par la police, demande vérité et justice

Par Agnès Belgacem et Matthieu Bidan, publié le 25 septembre 2019 sur Streetpress

La nouvelle est tombée, brutale : le policier qui a tué Liu Shaoyao ne sera pas jugé. Malgré le choc, sa famille, qui pourtant croyait en la justice, continue la lutte.

« Non-lieu », prononce l’avocat. Isabelle Liu, qui a décroché le téléphone, n’a pas tout de suite compris. À 23 ans, la jeune femme regrette, penaude, de ne pas encore assimiler les subtilités du jargon juridique. Jamais elle n’avait eu à s’en soucier avant. « Le juge a décidé qu’il n’y aurait pas d’enquête. » Glacée, elle bégaye en chinois la nouvelle à sa mère. Le policier de la BAC qui a tiré sur son père, Liu Shaoyao, le 26 mars 2017, ne sera pas jugé. Voilà plus d’un mois que la famille tente, difficilement, d’assimiler la décision. « Comment est-ce possible ? », demande la mère encore hébétée, assise sur un banc du Square Émile-Chautemps, collé au métro Réaumur-Sébastopol, dans le 3ème arrondissement.

Arrivée de Chine avec son mari il y a plus de 20 ans, elle est maintenant seule avec ses cinq enfants, explique-t-elle. 56 ans, fatiguée, son salaire de cuisinière ne fait plus l’affaire. « Elle dit que c’est dur », traduit sa cadette, avant d’être coupée. La matriarche s’emporte, révoltée, en regardant fixement le sol, comme si elle se parlait à elle-même. « Elle dit qu’on a fait appel et qu’on ne lâchera pas tant qu’on n’aura pas eu justice. Qu’il est mort injustement, que ce n’est pas juste et qu’il mérite justice. » […]

26 mars 2017

Seule Yuyu et sa mère sont absentes du domicile familial, le 26 mars 2017 au soir. 20h30 n’a pas sonné quand quelqu’un tambourine dans l’entrée du petit appartement de la villa Curial, dans le 19ème arrondissement. Par le judas, Nathalie voit trois agents de la BAC. Quelques minutes plus tôt, un voisin a appelé la police pour signaler quelqu’un avec un couteau à la main dans son couloir. La jeune femme reste interdite. Isabelle qui l’aperçoit tétanisée, alors que les coups se font de plus en plus insistants et sourds, reproduit l’expérience. « Ils étaient armés. »

Paniquée, elle crie frénétiquement de ne pas défoncer la porte, sans avoir aucune réponse de l’autre côté. Le verrou finit par céder et les forces de l’ordre déboulent dans le vestibule. L’un tire. Le bruit de la détonation sort Da Zhao de sa bulle, écouteurs bien agrippés aux oreilles. « J’étais dans ma chambre, j’ai entendu… J’essaie de ne pas y penser tout le temps », confie-t-il. Liu Shaoyao, arrivé alors entre ses deux filles, s’écroule. L’homme de 56 ans tient un ciseau, celui qu’il utilisait à l’instant pour couper du poisson dans la cuisine, d’après ses enfants. « On a commencé à hurler : “Pourquoi vous avez fait ça”. On pensait qu’ils l’avaient assommé. On répétait : “On n’a rien fait”. »

Concernant la suite, Da Zhao parle de black-out. « Aucun de nous ne savait comment réagir. » Les souvenirs d’Isabelle sont flous aussi. Elle se rappelle toutefois les visages crispés des policiers, qui réunissent les quatre enfants dans une chambre. « L’un d’eux m’a demandé des torchons. Ils couraient partout, ils criaient nerveusement. » La fratrie Liu reste dans cette même salle pendant presque deux heures. La mère est en bas du bâtiment, dans un camion de police. Interdiction de monter.

« Descendez chercher votre mère, elle ne comprend rien », finit par leur lancer un policier. Pour sortir, ils passent devant le corps de leur père, recouvert d’un drap. « Il y avait du sang », se souviennent-ils tous. Ils repasseront deux fois devant, quand on leur demandera de remonter deux par deux pour récupérer des affaires. Hagards. Accompagnés ensuite par la maire adjointe dans un hôtel où ils passeront la nuit, les Liu peinent à sortir de la torpeur. « Je crois que c’est à ce moment-là qu’on a compris qu’il était mort. »

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