16 mars 2019 – Ultimatum à l’État

Publié le 13 mars 2019
par la Marche des solidarités, sur le blog de Mediapart

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Lors de la conférence de presse commune de la Marche des Solidarités et de la Marche du Siècle ce mardi, Ian est intervenu au côté de Anzoumane Sissoko de la Coalition Internationale des Sans-Papiers et MigrantEs et d’Adel du Collectif Gilets Jaunes de Rungis-Idf. Voici son intervention.

Je suis Ian, du collectif Désarmons-les et de l’Assemblée des blessés.

Je suis là pour transmettre le message de notre pôle contre les violences d’État, partie prenante de l’organisation de la journée internationale contre les violences policières et des Marches des solidarités qui s’organisent depuis deux ans avec des collectifs anti-racistes et de soutien aux migrant-es et sans-papiers.

A ce titre, nous nous associons au collectif Vies volées et à toutes les familles et collectifs de victimes des violences policières qui nous soutiennent et que nous soutenons sur ce combat.

Nous nous adressons à l’État français et lui posons un dernier ultimatum pour le 16 mars prochain.

Nous sommes ici avec les plus de 578 personnes que votre police a exécuté extrajudiciairement au cours du dernier quart de siècle, parce que leurs vies ne valaient rien à vos yeux.

Nous sommes ici avec les plus de 65 personnes que votre police a rendu borgnes et manchots au cours des 20 dernières années, parce qu’ils étaient trop rebelles, trop marginaux ou parce que leur détresse et leur colère les a amenés à vouloir votre démission ou votre défaite.

Nous sommes ici avec ceux que vous appelez avec mépris les va-nu-pieds, les manants, les vagabonds, les nègres, les bougnoules, les gitans, les clandestins, les sauvageons, les racailles, les voyous, les casseurs, les fainéants, les séditieux et les hooligans.

Nous n’irons plus par quatre chemins pour parler de ce qui nous oppresse et ce qui nous révolte.

Nous mettrons les mots que nous aurons choisi, et non ceux que vos discours médiatiques et vos académiciens jugent appropriés.

Nous utilisons et assumons l’utilisation des termes de violences d’État et de racisme d’État, de meurtres policiers, de contre-insurrection et de colonialisme.

L’État français moderne s’est construit et a bâti sa puissance sur le vol et la souffrance des peuples :

1) en organisant à partir du 14ème siècle l’imposition des pauvres pour financer son effort de guerre et rembourser ses dettes.

A ce titre, nous sommes tout-es des Gilets Jaunes

2) en colonisant des territoires en Europe puis dans le reste du Monde au cours des 6 siècles suivants.

A ce titre, nous sommes tout-es des colonisés, des corses, des bretons, des basques, des nègres, des bougnoules ou des niakoués…

3) en se livrant au commerce d’êtres humains et à l’esclavage.

A ce titre, nous sommes toutes des serfs et des esclaves.

4) en se livrant au pillage des ressources et à la surexploitation du vivant.

A ce titre nous sommes tous des cancéreux et des réfugiés climatiques.

5) en écrasant toute contestation de son modèle économique et en livrant une guerre sans merci au peuple au nom de la croissance et du profit.

A ce titre, nous sommes tous des fainéants, des séditieux et des extrémistes.

De la guerre d’Indochine à la guerre d’Algérie, de mai 68 aux gilets jaunes, nous sommes des millions à avoir subi dans nos chairs la violence qui résulte de vos choix de société et de votre arrogance.

Vos officiers militaires, après avoir torturé et assassiné dans les colonies, ont exporté leurs techniques contre-insurrectionnelles pour enseigner à tous les régimes autoritaires comment mater les rebellions : état d’urgence, infiltration et surveillance, couvre-feu, assignations à résidence, interdictions de paraître et expulsions…

17 octobre 61 contre les algériens, janvier 1985 en Nouvelle Calédonie, novembre 2005 dans les banlieues, novembre 2015 sur tout le territoire français. Sans parler du couvre-feu colonial contre les gilets jaunes de La Réunion en novembre dernier !

Puis vos conseillers en sécurité ont importé des armes de guerre pour mater les colonisés de l’intérieur puis tirer sur les foules récalcitrantes : grenades avec de la TNT, grenades projetant des plots de plastique rebaptisées « dispositifs manuels de protection », pistolets et lance-grenades rebaptisés « lanceurs de balles de défense » tirant des balles de plastique mou de 4 cm à plus de 400 km/h, pistolets à impulsions électriques, fusils à répétition multi-usage et, plus récemment, des fusils à pompe de 12 mm tirant des billes de plastique comme à Montpellier le 12 janvier ou des  cartouches métalliques comme à Nevers il y a quatre jours.

Depuis décembre dernier, votre cynisme, votre mépris et votre déni ont donné naissance à une colère sans nom, qui aujourd’hui a franchi les frontières de la gauche et des quartiers populaires.

Cette colère, vous ne l’éteindrez pas. Vous êtes l’huile rance versée sur le feu de notre révolte légitime.

Et c’est sans compter les 15 personnes tuées chaque année des mains des forces de l’ordre ou à balles réelles, dans l’impunité la plus totale. Depuis deux ans, nous faisons campagne contre les techniques d’immobilisation mortelles, le pliage, le plaquage ventral et la clé d’étranglement, mais aussi contre le permis de tuer qui a été gentiment accordé aux policiers en mars 2016, renforçant un peu plus leur sentiment d’impunité et augmentant considérablement le nombre des morts par arme à feu. Les années 2016 et 2017 ont battu les records de personnes tuées par balle…

Visiblement, l’État français veut une société à l’américaine, une société de la concurrence, de la méfiance, du racisme et où les policiers règlent les problèmes de voisinage et les conflits de la vie quotidienne en tirant dans le corps des gens suspects.

Nous savons que nous n’obtenons jamais justice. C’est pourquoi nous nous battons surtout pour la vérité, pour préserver notre dignité que vous vous employez à détruire. Mais nous savons que ce ne sont pas les experts et les juges qui feront la lumière sur nos affaires. C’est l’histoire qui nous donnera raison.

Si les hommes de pouvoir ont leurs sépultures au Panthéon et leurs noms aux frontons des monuments publics, cela ne signifie pas qu’on les admire ou qu’on les aime. C’est l’hommage qu’on rend aux cyniques et aux indifférents.

Le peuple, lui, garde éternellement la mémoire collective de ceux des siens que l’État assassine ou emprisonne pour la vie. C’est l’hommage que nous rendons aux petits, aux humbles et aux justes.

Nous n’oublions pas, nous ne pardonnons pas, car sans justice, il n’y a pas de paix, ni dans nos cœurs, ni dans les espaces que nous traversons.

Ne comptez plus sur nous pour appeler au calme.

Évidemment nous pourrions ici aligner mille revendications, pour l’interdiction des techniques d’immobilisation mortelles, des grenades et des lanceurs de balles de caoutchouc, des contrôles au faciès, mais aujourd’hui nous ne demanderons rien, car il n’est plus question d’adresser des doléances à notre oppresseur. Nous sommes fatigués de nous en remettre au bon vouloir des escrocs, des menteurs et des criminels.

Nous appelons à poursuivre et amplifier le mouvement de révolte contre le Gouvernement.

Nous appelons à bloquer l’économie mortifère de ce pays et à constituer immédiatement des comités, des assemblées de quartiers et de communes, pour élaborer ensemble la société de demain, sans le déléguer aux personnes de pouvoir.

Nous appelons à converger sur Paris contre les politiques antisociales actuelles, contre les violences d’État et pour la sauvegarde de notre planète ce 16 mars 2019.

Nous appelons à bloquer toutes les entreprises d’armement le 29 mars 2019.

Nous appelons à bloquer le sommet du G8 de Biarritz le 25 août 2019.

Nous appelons à soutenir les familles de victimes de la police au quotidien et tout au long de leur combat pour la vérité.

Nous appelons à alimenter financièrement toutes les cagnottes des personnes mutilées par la police.

L’Etat tire dans le tas, désarmons-le. L’État assassine, renversons-le.

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