Asile, enseignement supérieur, services publics en général… La stratégie du choc continue. Objets de réformes différentes, ces questions sont intriquées dans notre quotidien : les universités deviennent des lieux où, faute de mieux, les exilés trouvent asile, au moment même où la réforme portée par Frédérique Vidal vient ébranler en profondeur les institutions de l’enseignement supérieur et de la recherche. Et nous laissons faire, à nouveau, chacun dans nos silos, courant pour écoper ce que produisent les effets de la destruction en marche de nos façons de défendre la vérité, le savoir, la science, et des institutions assez fortes pour porter ces exigences. Les universitaires des institutions privilégiées, celles dont les dirigeants ont l’air de penser que le mot « sélection » est à lui seul un label de qualité, hésitent pour certains à soutenir une occupation par des exilés dans une des facs les plus pauvres, mais aussi les plus vibrantes, de la région parisienne, Paris 8 Saint-Denis, de peur d’avoir l’air de donner des leçons et d’ignorer les difficultés. Les autres, qui rament dans des universités en crise, baissent la tête de peur que cela leur arrive au milieu du désordre immense que va produire Parcoursup, la dernière réforme qui déstabilise tout l’enseignement supérieur. Certes il y a le programme Pause, qui a permis d’accueillir quelques dizaines de chercheurs persécutés – mais faut-il avoir Bac + 10 et des publications pour que l’on vous tende la main ? Pendant ce temps tout le monde évite de se poser la question : est-ce que ce qui se passe est juste ?
Se joue aujourd’hui la plus grave crise de l’asile et de l’accueil depuis la guerre. Des gens qui dorment dans la rue depuis des mois. Des tentes sous la neige. Des exilés aspergés de gaz lacrymogènes, dont le moindre abri est rendu inhabitable, et qu’il faudrait priver d’eau, de soins, du minimum de compassion. Des migrants qui se suicident à force d’être « dublinés » (c’est-à-dire renvoyés dans le premier pays d’Europe par lequel ils sont passés), ballottés, violentés. Qui osera dire que l’Afghanistan, l’Érythrée, le Soudan, la Syrie, sont des pays où tout va bien ?
Aurons-nous seulement fait notre part face à ce qui se passe? Avons-nous seulement saisi qu’une crise historique se produit, et qu’elle n’est pas la lubie d’une poignée d’exaltés ?
Il nous faudrait accepter cette catastrophe à bas bruit parce que nous avons tellement à faire, parce que nous nous prenons dans la figure tant de contre-réformes qui démolissent des institutions certes imparfaites mais soucieuses d’une justice, d’une égalité et d’une liberté qui avaient parfois l’air d’être un peu plus que des principes abstraits ? Il faudrait dire à nos étudiants que décidément tout cela est bien compliqué, qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde alors que nous ne prenons pas seulement notre part ? Il faudrait dire oui – parce que nous sommes fatigués, très occupés, inquiets – à la sélection par la noyade en Méditerranée, à la sélection par les tentes lacérées, par l’expulsion et le suicide ?
Nous demandons un accueil décent des exilés. Puisque, on nous le dit assez, les moyens de l’État ne sont pas infinis, nous demandons que ces moyens cessent d’être affectés au harcèlement des exilés et qu’ils soient redéployés vers un accueil digne. Nous demandons la fin des expulsions au titre de la procédure Dublin. Nous nous opposons à une nouvelle loi liberticide sur l’asile et la migration (le projet de loi qui sera présenté au Parlement au printemps) parce que la haine, maquillée sous l’indifférence, n’a pas à être le nouveau référentiel des politiques publiques, et que si nous laissons faire ce sera un signal terrible pour la suite.
Les universitaires pour l’accueil, (Accéder à la pétition en ligne)
Premier signataires
Lucie BARGEL, Maîtresse de conférences, Université Côte d’Azur, ERMES
Florence BRISSET-FOUCAULT, Maîtresse de conférences, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IMAF)
Jean-Baptiste COMBY, Maître de conférences, Université Paris 2
Dominique CONNAN, Professeur, Université Picardie Jules Verne, CURAPP
Claire DERYCKE, Maîtresse de conférences, Université de Lille & Université de Liège, Laboratoire de dynamique de l’évolution et de la diversité
Estelle d’HALLUIN, Maîtresse de conférences, Université de Nantes, CENS
Camille HAMIDI, Maîtresse de conférences, Université Lyon II, Triangle
Samuel HAYAT, Chargé de recherche au CNRS (CERAPS)
Jean-Philippe HEURTIN, Professeur, Université de Strasbourg, SAGE
Cécile JOUHANNEAU, Maîtresse de conférences, Université Paul Valéry Montpellier 3 – ART-Dev
Solenne JOUANNEAU, Maîtresse de conférences, Université de Strasbourg, SAGE
Patrick LEHINGUE, Professeur, Université Picardie Jules Verne, CURAPP
Jean LILENSTEN, Directeur de recherches au CNRS, Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble
Frédéric RASERA, Maître de conférences, Université Lyon 2, Centre Max Weber
Jean-Noël RETIÈRE, Professeur, Université de Nantes, CENS
Christian RINAUDO, Maître de conférences, Université Nice Sophia Antipolis, URMIS
Manuel SCHOTTÉ, Maître de conférences, Université de Lille, CERAPS
Johanna SIMÉANT-GERMANOS, Professeure, École Normale Supérieure, CMH
Jean-Paul VANDERLINDEN, Professeur, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, CEARC
Claire WAELBROCK, Directrice de recherches au CNRS, Laboratoire de Sciences du Climat et de l’Environnement