Communiqué
« Un bicot ça nage pas »
Conférence de presse live sur
Mediapart, Regards, Bondy Blog et le Courrier de l’Atlas
Lundi 4 mai à 16h00
A la suite de la ratonnade du 26/04, et des multiples violences policières qui se déroulent un peu partout dans les quartiers populaires de ce pays, le collectif du 10 novembre contre l’islamophobie est à l’initiative d’une conférence de presse qui se déroulera en live simultanément sur Mediapart, Regards, le Bondy Blog et le Courrier de l’Atlas demain 16h. Ci-dessous le texte d’appel et ci-joint le visuel. Y prendront la parole outre Omar Slaouti pour le collectif et Youcef Brakni pour le Comité Adama, Celine Verzeletti, pour la CGT, membre du Bureau confédéral), Mohamed Bensaada pour le Syndicat des quartiers populaires de Marseille, Aurélie Trouvé pour Attac et Verveine Angeli pour Solidaires. Merci à vous de relayer au maximum cette initiative importante
Quartiers populaires : une situation explosive
Dans la nuit du 26/04, une interpellation policière a tourné à la ratonnade. « Un bicot ca nage pas » « Ah ça coule, t’aurais dû lui accrocher un boulet au pied » avec force de rires des agents présents. « Pas de place au racisme dans la police » a tweeté le ministre de l’Intérieur le 27 avril. Les faits le contredisent. Depuis le 8 avril, 5 personnes ont été tuées par la police, 3 autres ont été blessées gravement et 7 ont porté plainte pour violences policières. Majoritairement des Noirs et des Arabes. Dans le 93, la police a procédé à 41 000 verbalisations ces dernières semaines, trois fois plus que la moyenne nationale.
Dans la nuit du 19 avril, à Villeneuve-la-Garenne, un jeune homme était grièvement blessé lors d’une interpellation policière. Et des révoltes ont éclaté plusieurs villes de banlieues du pays dans la nuit du 19 avril et les jours qui ont suivi.
Quarante organisations, associations ont signé, le 24/04 une tribune de soutien à la colère des quartiers populaires publiée simultanément dans Mediapart, le Bondy Blog et Regards.
Parce que la situation est explosive, que pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle violence policière ne se produise dans des quartiers qui paient un très lourd tribu à la pandémie, où la faim rôde dans des milliers de famille, six des initiateurs de cet appel tiendront une conférence de presse en visioconférence, le lundi 4 mai, à 16h. Cette conférence sera retransmise en direct sur les médias suivants : Mediapart, Regards, le Bondy Blog et le Courrier de l’Atlas. Des annonces importantes y seront faites.
Y prendront la parole :
Pour la CGT : Céline Verzeletti, membre du Bureau confédéral de la CGT
Pour Attac : Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac
Pour le comité Adama : Youcef Brakni, membre du comité Adama
Pour Le Collectif du 10 novembre contre l’islamophobie : Omar Slaouti, membre du Comité
Pour le Syndicat des quartiers populaires de Marseille : Mohamed Bensaada, membre du SQPM
Pour Solidaires : Verveine Angeli, membre de la direction de Solidaires
Dans la presse : vidéos et articles
« Un bicot ça nage pas ». Les deux jeunes qui ont filmé la scène dénoncent des pressions policières
Par Prune Fabre, publié le 1er mai 2020 par Révolution permanente
Depuis le tollé provoqué par la vidéo de l’interpellation à l’Île-Saint-Denis montrant des policiers tenir des propos racistes, les deux jeunes qui ont filmé la scène racontent qu’une voiture de police est passée plusieurs fois devant chez eux pour les intimider.
Vers deux heures du matin le 23 avril, deux jeunes habitants de l’Ile Saint-Denis (93) avaient filmé de leur fenêtre une arrestation montrant le racisme assumée de la police. On y entendait les policiers rire et tenir des propos des propos tels que « un bicot ça nage pas » après avoir arrêté un homme qui avait sauté dans le fleuve pour fuir l’interpellation, triste rappel de l’histoire coloniale française, quand la police jetait des algériens dans la Seine, avant d’entendre l’homme arrêté crier de douleur une fois embarqué dans le fourgon de police. ⇒ Lire l’article
L’Île Saint Denis. « Bicot » : un sinistre rappel de la tradition coloniale française
Par Olive Ruton, publié le 27 avril 2020 sur Révolution permanente
La vidéo glaçante des policiers repêchant un homme dans la Seine et le tabassant dans un fourgon après avoir proféré des insultes racistes a soulevé la colère, forçant notamment le gouvernement à prendre position. Derrière ce nouvel épisode de racisme d’État et de violences policières, le caractère structurel de la police comme bras armé de l’État colonial français.
Depuis le début du confinement, et la mise en place de l’état d’urgence sanitaire par le gouvernement, les images et témoignages de violences policières se font de plus en plus fréquents, relayés massivement sur les réseaux sociaux. Ce week-end, la vidéo de l’interpellation extrêmement violente d’un jeune homme a fait monter d’un cran la colère populaire sur la question. Cette vidéo, c’est celle de l’interpellation d’un homme repêché dans la Seine par les policiers après qu’il s’y soit jeté, fuyant les mêmes agents de polices, qui le poursuivaient car le suspectaient d’être coupable de vol sur un chantier. En plus de l’extrême violence des policiers, dont on entend distinctement les rires entre les hurlements du jeune homme et les bruits sourds des coups, si cette vidéo a réveillé une telle colère, c’est en raison des propos racistes, là encore complètement décomplexés, que l’on entend sans l’ombre d’un doute sur la vidéo : « Mais lui il s’est jeté direct à la seine ce con », « Un bicot comme ça, ça nage pas », « Il va passer un mauvais moment ».
Si la vidéo ne laisse que peu de place au doute, bien qu’elle ait été tournée à près de deux heures du matin, dans l’obscurité, des interviews de témoins de la scène (dont celui qui a filmé), réalisées par Taha Bouhafs, publiée dans Là-bas si j’y suis et relayées sur son compte Twitter confirment et détaillent ce qu’il s’est passé ce soir-là. Choqués, les deux jeunes hommes racontent comment ils ont filmé et enregistré la terrible scène. « J’étais tétanisé. A la fois on voulait réagir mais en même temps c’était impossible, on avait trop peur » raconte Sam*, caché juste derrière le portail de chez lui, a seulement quelques mètres du fourgon. ⇒ Lire l’article
L’Ile-Saint-Denis : des policiers pris en flagrant délit de racisme, un commissaire sur les lieux
Par Camille Polloni, publié le 28 avril 2020 sur Mediapart
Deux enquêtes ont été confiées à l’IGPN après la diffusion d’une vidéo dans laquelle un homme interpellé est traité de « bicot ». La préfecture de police de Paris a annoncé la suspension de deux policiers. La présence d’un commissaire pose question.
Une dizaine de silhouettes en uniforme avancent dans l’ombre, éclairées par des lampes-torches. Tous les échanges entre policiers ne sont pas audibles, mais deux phrases claquent, bien distinctes :
« Il sait pas nager, un bicot comme ça, ça nage pas. [Rires]
– Ça coule ! T’aurais dû lui accrocher un boulet au pied. »
D’autres saillies émergent : « Il s’est jeté direct à la Seine, ce con », puis « laisse ta mère tranquille, cette pute », commentent les policiers en conduisant l’interpellé vers « le bus magique » qui l’amènera au commissariat. Des rires sonores éclatent, entrecoupés de bruits sourds et de cris. Il est un peu plus de 1 h 30 du matin, dans la nuit de samedi à dimanche.
La vidéo de deux minutes, tournée par un habitant de L’Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), est postée sur Facebook dimanche après-midi, puis rapidement relayée par les journalistes Taha Bouhafs (Là-bas si j’y suis) et Nadir Dendoune (Le Courrier de l’Atlas), qui ont aussi interviewé son auteur.
Si les propos tenus choquent tant, c’est sans doute parce qu’ils relèvent du racisme le plus crasse : celui qui pousse à traiter un Arabe de « bicot », cette insulte tout droit sortie de la guerre d’Algérie, utilisée contre un homme qui a failli se noyer. Peut-être, aussi, parce qu’immortalisés dans une vidéo, ces mots donnent vie à une image d’Épinal : les voilà donc, ces policiers bas du front qui font des blagues racistes sur les interpellés entre collègues. Sous nos yeux ébahis.
Dès dimanche soir, la préfecture de police de Paris annonce qu’elle compte saisir l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) d’une enquête administrative, « afin de faire toute la lumière sur les circonstances dans lesquelles les policiers sont intervenus et déterminer l’identité des auteurs des propos entendus ». Il s’agit d’une procédure interne à l’institution policière, pouvant aboutir à des sanctions disciplinaires à l’encontre des policiers impliqués, allant d’un simple blâme à la révocation.
À minuit, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner évoque l’affaire dans un tweet, avec une sévérité inhabituelle : « Une vidéo montrant une intervention de police dans le secteur de L’Île-Saint-Denis suscite une indignation légitime. Toute la lumière sera faite. L’IGPN est saisie. Le racisme n’a pas sa place dans la police républicaine. » L’association SOS Racisme affirme avoir « interpellé » le ministre dès dimanche, en découvrant la vidéo, et réitéré sa « demande que la question du racisme au sein des forces de l’ordre soit traitée et cesse d’être occultée ». SOS Racisme et la Ligue des droits de l’homme ont annoncé leur intention de déposer plainte.
En parallèle, la procureure de Nanterre Catherine Denis annonce lundi matin, sur Franceinfo, l’ouverture d’une enquête préliminaire également confiée à l’IGPN. Si la commune de L’Île-Saint-Denis relève en principe du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), les fonctionnaires travaillent dans le département voisin des Hauts-de-Seine, où a commencé la poursuite. Au micro de nos confrères, la procureure de Nanterre se montre particulièrement prudente : « Il s’agit de dérapages, je dirais individuels, qui, s’ils sont commis, doivent être sanctionnés. Mais ça ne fait pas non plus jeter le discrédit sur toute l’action de la police qui fait quand même un très gros travail. »
Dans un communiqué diffusé par la suite, le parquet de Nanterre précise que l’enquête est ouverte pour « injures à caractère raciste et violences par personne dépositaire de l’autorité publique », tout en livrant quelques éléments de contexte. Cette nuit-là, les policiers tentent d’arrêter trois individus soupçonnés d’avoir commis un vol sur un chantier à Asnières, qui s’enfuient en voiture puis à pied. Tandis que deux d’entre eux parviennent à s’échapper, le troisième « s’est jeté dans la Seine, fuyant son interpellation. Il a été repêché par les policiers au niveau du pont de L’Île-Saint-Denis ». Sur le moment, la procédure se poursuit sans encombre : l’homme arrêté, qui se dit égyptien et âgé de 27 ans, est examiné à l’hôpital. Le médecin, qui ne constate « aucune blessure », estime que son état est compatible avec la garde à vue.
Toujours selon le parquet de Nanterre, l’homme « n’a pas fait état de violences lors de son audition et n’a pas déposé plainte à ce stade ». Sa garde à vue est levée « dans la journée » de dimanche, conclut le communiqué, « le matériel objet du vol ayant été restitué et l’individu ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français au regard de sa situation irrégulière » : un motif de classement sans suite dont beaucoup de sans-papiers croisés en comparution immédiate auraient sans doute rêvé.
Lundi soir, la préfecture de police de Paris a fait savoir que Didier Lallement demandait la suspension des deux policiers ayant tenu les propos incriminés. Ceux-ci reconnaîtraient les faits. Responsables identifiés, problème réglé ? Pas si simple. Comme dans l’affaire du motard blessé le week-end précédent à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), un commissaire de police faisait partie du dispositif, engageant de fait sa responsabilité.
L’opération menée samedi soir était dirigée par Vincent Lafon, 46 ans, commissaire central d’Asnières-sur-Seine depuis novembre 2019 et chef du premier district à la DTSP 92 (direction territoriale de la sécurité de proximité). Si l’enquête devra déterminer son rôle dans l’équipage et sa position exacte au moment des faits, sa présence n’a, en tout cas, pas dissuadé des fonctionnaires moins gradés que lui de tenir des propos racistes.
Il se trouve que Vincent Lafon n’est pas n’importe quel commissaire. En 2017, lors de « l’affaire Théo L. », du nom de ce jeune homme gravement blessé à Aulnay-sous-Bois lors de son interpellation, Vincent Lafon dirigeait le commissariat local depuis 2014. Un article de Mediapart ébauchait alors un portrait de ce fonctionnaire, unanimement décrit comme un « flic de terrain », pour le meilleur – une efficacité louée par sa hiérarchie, la sympathie de ses troupes – comme pour le pire – la priorité donnée à l’occupation du territoire et aux interpellations plutôt qu’aux enquêtes.
Cet article rappelait aussi son passé judiciaire. En 2008, Vincent Lafon a été condamné à un an de prison avec sursis et un an d’interdiction professionnelle pour « abstention volontaire d’empêcher un délit », en l’occurrence des violences, commises par trois de ses subordonnés en 2004, lorsqu’il était chef adjoint de la BAC nuit à Paris. Sa condamnation le déclare également coupable de « complicité d’établissement d’une attestation ou d’un certificat inexact ».
L’histoire est peu glorieuse. À l’issue d’une course-poursuite avec un chauffard ivre, durant laquelle l’homme renverse deux policiers et en blesse un troisième, le conducteur est arrêté, tabassé puis mis au sol, pantalon et slip baissés, un cerceau d’enjoliveur entre les fesses. Les images de la scène ont été détruites avant que l’Inspection générale des services (ancêtre parisien de l’IGPN) ait pu les placer sous scellés.
Contrairement à l’un de ses collègues, Vincent Lafon n’a pas fait appel de sa condamnation, « tout en ayant pourtant constamment refusé d’admettre sa présence sur les lieux des violences et d’endosser la rédaction d’un procès-verbal simplifié jusqu’à en être mensonger », écrit la cour d’appel de Paris dans l’arrêt rendu en 2009. Le commissaire a passé son année de suspension à enseigner le « contrôle d’individus récalcitrants » au sein d’une société privée, avant de retourner dans la police : au commissariat central du XIIIe arrondissement de Paris, puis à Aulnay-sous-Bois, où il reste quatre ans.
En 2018, Vincent Lafon prend la tête de la sûreté territoriale parisienne. Là-bas, il est visé par une plainte pour « faux en écriture publique » : interpellé dans l’affaire du lycée Arago, un photographe l’accuse d’avoir falsifié un procès-verbal. L’avocat du photographe, Vincent Ollivier, confirme qu’une information judiciaire a bien été ouverte mais regrette que son client n’ait « jamais été auditionné » par le juge en deux ans.
Invité à donner sa version sur ce qui s’est produit samedi soir à L’Île-Saint-Denis, Vincent Lafon n’a pas souhaité s’exprimer, soulignant qu’il ne devait pas « interférer » dans les deux enquêtes en cours. Le Parisien affirme que le commissaire « serait demeuré sur l’autre rive du fleuve », sans assister directement aux propos racistes. Mais aussi que « le ministère de l’intérieur réfléchit », désormais, à sa suspension.