Tribune – Quand Le parisien joue les reporters de crise dans la Goutte d’Or

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Quand Le parisien joue les reporters de crise dans la Goutte d’Or
Tribune collective, publiée le 30 mars 2020 par Regards

On l’imagine enfiler son casque et son gilet « PRESSE », déterminé, plume affutée, pour informer la population du 18e arrondissement : Le Parisien, à la conquête du prix Albert Londres de la No Go Zone.

Une nouvelle fois, ce journal nous gratifie d’un papier pour nous alerter des dangers qui nous guettent : « Paris : le business des rues malgré le confinement » (24 mars 2020).

C’est que le sujet est brûlant : les vendeurs à la sauvette de la Place de la Chapelle ne sont pas confinés. Pire encore : ils ont « littéralement pris le contrôle de l’espace public ».

Ainsi, au péril de sa vie, il part à la rencontre de « grappes d’hommes, parfois agressifs » aux habitudes « délictuelles » ; ces mêmes « grappes d’hommes » qui, dans un article daté d’octobre 2018, « terrorisaient les femmes et les enfants du quartier » ou, dans un autre article d’octobre 2019, étaient une preuve criante d’une « gestion chaotique de la crise migratoire ».

Toujours le même discours sordide…

Plusieurs sujets, toujours le même angle, cette fois-ci résumé dans l’idée du « deux poids deux mesures ».

Sur cette place fantasmée, il y aurait donc d’un côté les victimes, bons riverains, les « habitants », les « gens », ces pères de famille à bout qui « grincent » de colère et d’appréhension ; de l’autre les coupables, ces non-riverains – entendez étrangers, migrants – tous ces « types en groupe » dont l’existence n’est que trafic et délinquance même lorsqu’ils tiennent des commerces alimentaires à qui le gouvernement demande pourtant expressément de rester ouverts : des « pseudo-épiceries » vous dit-on ! Que trouve-t-on en réalité sous les comptoirs ? Sans doute le sujet d’une prochaine enquête…

De toute façon, comment ces derniers pourraient-ils prétendre à une autre description que celle d’une meute sans individualités ? Sont-ils eux aussi pères de familles ? Quelle question… Habitent-ils ou travaillent-ils eux aussi dans le 18e ? Peu importe. La seule vraie question du Parisien est la suivante : comment osent-ils s’approprier ce quartier qui ne peut être la propriété que des premiers ?

Cette rhétorique implacable n’a d’autre fondement qu’une idéologie d’extrême droite.

Sur cette fameuse place, si Le Parisien avait pris le temps d’interroger les vendeurs à la sauvette, il aurait surement découvert que cette activité est leur seule source de revenu, confinement ou pas.

Il aurait peut-être appris que « les livraisons de cannabis à vélo » sont non seulement destinées à ses chers « riverains » qui logent au chaud et n’ont pas arrêté avec la crise de fumer du cannabis – tout comme les livraisons Deliveroo qui d’ailleurs ne semblent pas le gêner – mais aussi à toutes celles et ceux pour qui un sevrage brutal aurait des conséquences désastreuses sur le physique et sur le psychisme et qui ne sont pris en charge par aucune structure d’État.

Enfin, ultime découverte, il aurait constaté que lorsque l’on travaille dehors et que toutes les enseignes sont fermées, on est contraint de « manger dans des barquettes » sur le sol. Pour ce journal de l’extrême, les gens contraints de continuer le travail, devraient certainement arrêter de manger !

S’agissant du confinement actuel, ce ne sont pourtant pas les sujets qui manquent dans le quartier.

Par exemple, la Goutte d’Or est l’un des quartiers où l’on trouve le plus de logements insalubres. 68 immeubles dégradés y ont été recensés. Dans de telles conditions d’habitat, comment se passe le confinement ?

Et les SDF dont le nombre a augmenté de 70% en un an dans le 18e arrondissement : sont-ils à l’abri ? Leur a t-on trouvé un hébergement ? Comment se protège-t-on quand on dort à la rue ?

Le 18e, est également l’un des arrondissements où l’on compte moins de 50 professionnels de santé pour 10.000 habitants contre 100 à 150 dans le très chic 16e arrondissement. Ces inégalités d’accès au soin ont-elles un impact sur la prise en charge des malades du Covid-19 ?

Et à quelques minutes à pieds du lieu de « reportage » préféré du Parisien, l’Hôpital Lariboisière où les médecins urgentistes sont en grève depuis plus d’un an. Les demandes de moyens supplémentaires formulées alors par les grévistes ont-elles finalement été entendues par le gouvernement ?

On veut savoir ! Mais fondamentalement, il semble que ces sujets lui échappent, pourtant, ils pointent les vraies responsabilités gouvernementales de la crise. Il est tellement plus facile et moins exigeant intellectuellement de désigner, en chœur avec l’extrême droite, des bouc-émissaires. Et comme l’extrême droite, Le Parisien tombe toujours sur les mêmes : les noirs, les arabes, les sans-papiers qui étaient hier responsables du trou de la sécu, aujourd’hui de la propagation du virus… On attend avec impatience les prochains articles : « La Place de la Chapelle, épicentre du réchauffement climatique » ou « La responsabilité des vendeurs à la sauvette dans la course à l’armement nucléaire ».

Cher journal…

Nous, organisations associatives, politiques et syndicales, habitant•e•s, militant•e•s, travailleurs et travailleuses du 18e arrondissement, n’en pouvons plus de ce traitement nauséabond de l’actualité locale.

Notre quartier populaire, digne et solidaire – ne vous en déplaise – mérite mieux que vos articles racistes et méprisants.

Si vous n’êtes pas capable de parler de nos quartiers avec le sérieux qu’ils méritent, alors ne les couvrez plus ! D’autres s’en chargeront.

Cliquer ici pour signer cette tribune

Premiers signataires

Acceptess-T, ACT UP-Paris, ANC – Paris, BAAM, CGT énergie Paris, Cercle MANOUCHIAN Paris, Collectif des 343 racisé.e.s, Décoloniser les arts, Ensemble ! 18e, LDH Paris 18e, Le Paria, NPA Paris 17•18, Parti de gauche Paris 18, PCF Paris 18e, UCL Paris nord-est, Zone de Solidarité populaire Paris 18e

Marion Alcaraz, habitante du quartier La Chapelle
Cassandre Barret habitante du 18e
Antares Bassis, réalisateur
Vincent Bénaben, cheminot, habitant du 18e
Badia Benjelloun, professionnelle de santé 18e
Olivier Besancenot, habitant et postier dans le 18e
Manu Bichindaritz, habitant et enseignant dans le 18e
Amélie Blom, chargée de cours, Sciences Po, INALCO
Étienne Borocco, habitant du 18e
Nathan Boumendil, habitant de La Chapelle, Paris 18e
Clarisse Bouthier, Solidarité migrants Wilson
Dawud Bumaye, militante afroféministe.
Catherine Carpentier, habitante 18e
Stéphane Catelain, habitant du 18ème, militant CGT
Catherine Chardin, habitante du 18e
Sandrine Malika Charlemagne, habitante 18e
Simon Chiaroni, militant,UL CGT 18e
Guillaume Clerice, comédien, habitant du 18e
Hugo Coldeboeuf, habitant du 18e
Gerty Dambury, autrice et membre fondatrice de Décoloniser les arts
Sandra Demarcq, habitante et militante syndicale aux finances publiques dans le 18ème
Etienne Deschamps, habitant du 18eet militant syndicaliste
Véroni Dhorasoo, habitante et psychologue Education Nationale dans le 18e
Vikash Dhorasoo, footballeur
Florent Di Meglio, militant du 18e
Drass, artisan, paris 18e
Lucile Dubernard, habitante du 18e
Karl Dupart, habitant de la Goutte d’or
Lucile Dupuy, habitante du 18ème
Nadia Fartaoui, médecin, habitante du 18e, membre du FUIQP
Gwen Fauchois, habitante du 18e
Laure Feldmann, habitante du 18e
Sébastien Gambiez, habitant du 18e
Georgette, Gilet Jaune, habitante 18e
Denis Godard, ex-kiosquier de la Place de la Chapelle
Juliette Gouzi, habitante du quartier la Chapelle
Nancy Hamilton, habitante 18e
Ahmed Hammad, militant et habitant du 18e
Cyrille Hanappe, architecte
Nathanaëlle Herpin, habitante du 18e
Lounis Ibadioune, PCF 18e
Lucie Jousse, comédienne, Paris 18e
Karim Kouhi, comité de soutien aux migrants de la Chapelle
Julia Legrand, militante féministe antiraciste et habitante du 18ème
Laurent Levard, PG Paris 16•17
Cecil Lhuillier, activiste dans le 18e
Claudine Luscher, ancienne habitante du 18e
Marie Lussier, habitante du 18e
Fabien Marcot, habitant et père de famille dans le quartier La Chapelle
Elisa Moros, habitante du 18e
Sarah Mahalaine, habitante du 18eet Présidente de l’Association Droits des Locataires Paris 18e
Paul Malisani, habitant du 18e, CGT
Manue, artiste, paris 18
Eliane Meillier, ZSP, habitante du 18e
Nadine Mézence, militante politique du 18e
Sandra Mignot, habitante du 18e
Léna Mons, militante politique du 18e
Isayie Moreira habitant du 18e
Fred Navarro, Act Up-Paris
Alain Onesime, militant syndical CGT Energie, UL 18e
Selma Oumari, habitante du 18e
Marian Petitfils, ATTAC Paris nord-ouest
Anaïs Pinay, militante antiraciste
Alain Pojolat, militant, UL CGT 18e
Lilou Poujade, habitante du 18ème
Elodie Raboisson, habitante du 18e
Rachel Ramadour, militante politique du 18e
Melvin Richon, militant politique du 18e
Giovanna Rincon, activiste trans féministe habitante 18e
Tarik Safraoui, militant, habitant de la Porte de Clignancourt
Zoé Sander, habitante et assistante d’éducation dans un collège du 18e
Pierre-Paul Seince, habitant du 18ème
Anzoumane Sissoko, porte-parole CSP75 et CISPM
Bernard Taglang, habitant du 18e
Cécile Tavan, militante du 18e
Josette Trat, habitante du 18e

Photo de Une : Youen Tanguy, extraite l’article des Inrocks : “Pourquoi la Goutte d’or résiste à la gentrification” (22-08-2015)