Hommage – Analyses, réflexions
Raymond Gurême
persécutions et résistance
Henri Braun, avocat
(entretien avec Laurent Bazin)
LB. Tu viens de publier dans Libération un très bel hommage à Raymond Gurême, décédé le 24 mai dernier. Raymond était un de tes amis. Tu le connaissais bien. Tu l’as défendu à plusieurs reprises. Dans quelles circonstances l’as-tu connu ?
HB. Je l’ai rencontré en 2010 lors de la première Fête de l’insurrection gitane organisée par la Voix des Rroms à Saint-Denis sur le parvis de la Basilique. J’ai vu cet homme âgé, de petite taille, qui était dans un coin avec son petit chapeau sur la tête. Il était en train de s’occuper d’un poney. Je suis allé lui parler et j’ai tout de suite compris que c’était quelqu’un de tout à fait exceptionnel.
C’est à partir de cette même année 2010 que son témoignage a commencé à rencontrer un écho dans le public. C’est d’ailleurs une année clé pour l’histoire des Tziganes en France. Le 18 juillet 2010, le secrétaire d’état aux anciens combattants, dont le nom m’échappe, a reconnu au détour d’un discours la réalité de l’internement des « nomades » pour la première fois de façon officielle. Dix jours plus tard, le 28 juillet 2010, Nicolas Sarkozy a organisé une réunion à l’Elysée avec le premier ministre et les principaux ministres dont l’ineffable Brice Hortefeux sur « les problèmes posés par certains membres des communautés des Roms et des Gens du Voyage ». Une telle réunion à un tel niveau sur les Tziganes constitue à ma connaissance une première dans l’histoire mondiale. La concomitance de ces deux événements jette une lumière crue sur l’intérêt des commémorations-ritournelles, paresseuses et au final quasiment dépourvues de sens ou en tout cas de portée politique immédiate.
C’est donc aussi en 2010 que le témoignage de Raymond a commencé à recevoir un écho public. C’est encore en 2010 qu’il a initié la marche qui a lieu chaque année entre son terrain de Saint-Germain-lès-Arpajon et la stèle devant la gare de Brétigny-sur-Orge qui commémore la souffrance des familles tziganes qui arrivèrent au camp de Linas-Montlhéry parmi lesquels Raymond et les siens. La stèle, inaugurée en 2011, l’a été à la suite de l’action de Raymond et de ses amis. Parmi ses proches, il faut mettre tout particulièrement en exergue le rôle de François Lacroix, l’ami fidèle et toujours présent, sans qui jamais la voix de Raymond n’aurait pu percer le mur du silence. Le livre Interdit aux Nomades, écrit avec Isabelle Ligner, a été une étape essentielle et a permis de faire connaître à un large public l’épopée de Raymond. Citons encore Evelyne Pommerat, de la médiathèque Matéo Maximoff, qui n’a eu de cesse de faire connaître Raymond et son combat.
LB. Tu l’as défendu plusieurs fois dans différentes affaires ?
HB. Oui, je l’ai défendu plusieurs fois. Il y a eu principalement deux affaires. La première, c’est l’agression qu’il a subie chez lui en 2014 : il a été agressé par deux policiers qui l’ont tabassé. Cette affaire s’est soldée par un non-lieu. Le non-lieu n’est pas définitif parce qu’on a fait appel. Conformément à la volonté de Raymond, ses héritiers ont décidé de continuer la procédure. Il y a eu une autre affaire également parce qu’on lui a confisqué deux de ses chevaux sous le prétexte parfaitement fallacieux et mensonger qu’il les aurait maltraités.
Les persécutions ne se sont donc jamais arrêtées. En dépit de son humour qui est sa meilleure arme, Raymond en a d’autant plus souffert qu’il était doté d’une sorte de mémoire absolue des faits, des dates et des lieux qui lui permettait par exemple de se repérer dans un endroit où il ne s’était pas rendu depuis plusieurs décennies. Deux ans après que Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, lui ait donné une médaille, des policiers font irruption chez lui – « le camp des gens du voyage » dans leur terminologie paradoxalement mémorielle – et le frappent. On voit là un phénomène qui se rapproche de ce que Bourdieu appelait la main gauche de l’État et la main droite de l’État : un État qui fait des politiques qui vont dans tous les sens en même temps. Ça n’a rien de délibéré : ce sont juste des logiques antagonistes. C’est particulièrement frappant dans ce cas-là. Ça m’a amené une fois de plus à me demander quel est l’intérêt de commémorer, lorsque dans le même temps on poursuit la même politique répressive.
Et ce qui est tout à fait frappant, c’est que, dans la vie de Raymond comme dans celle de beaucoup de Voyageurs, les persécutions ne se sont pas arrêtées. C’est-à-dire que, pendant 80 ans, de 1940 à aujourd’hui, Raymond a été sans cesse en butte aux persécutions de la police, y compris quand il est devenu un personnage public, que son ouvrage a été publié, qu’il est intervenu dans les lycées et les écoles et alors même qu’il était reçu officiellement au ministère de la Culture. D’un côté Raymond était reconnu, je ne dirais pas comme un personnage officiel, mais comme un témoin, quelqu’un d’important, et de l’autre les brimades policières continuaient, et peut-être d’autant plus parce que Raymond avait rappelé l’histoire et ce qui s’était passé pendant la seconde Guerre mondiale.
Il faut bien comprendre – et il l’explique dans son ouvrage – que les persécutions ont pris un tour nouveau dès les années cinquante, quand Raymond l’a ouvert pour dénoncer le fait que les gardiens du camp de Linas-Montlhéry où il avait été interné continuaient tranquillement à vaquer à leurs occupations, que le maire même du village de l’époque était l’ancien chef du camp, et qu’il y avait toute une série de gens, de gendarmes en particulier, qui continuaient à opérer avec le même zèle que sous l’Occupation. Et c’est à partir de là que la police a commencé à persécuter Raymond et sa famille. Peut-être même d’ailleurs que les policiers d’aujourd’hui ont oublié pourquoi. Mais il y a donc cette sorte de vengeance des anciens collabos qui a continué à s’exercer après la guerre et qui continue aujourd’hui. Elle s’est perpétuée de génération de policiers en génération de policiers si j’ose dire.
LB. Tu as connaissance de formes de persécution qu’il a subi entre les années 1950 et l’agression policière de 2014 ?
HB. Oui, il y a toute une série de choses qu’il raconte dans son livre. Par exemple à un certain moment on l’a suspecté de tremper dans je ne sais quelle affaire de grand banditisme. Il est donc passé devant une juge d’instruction qui l’a inculpé (c’était la terminologie de l’époque) et qui l’a envoyé au trou. Il avait indiqué qu’il avait un alibi en béton. La juge d’instruction a dit : « votre alibi je vais le casser ». Elle l’a mis en prison. Il en est ressorti quelques jours après pour un nouvel interrogatoire. Et là, il a expliqué à la juge que le jour de la fusillade, il était allé à la mairie d’Arpajon où le maire avait refusé de délivrer un certificat de naissance à son neveu, qu’il s’était énervé et qu’il avait collé une droite au maire et lui avait cassé la machoire. Et il a donc dit à la juge : « demandez au maire d’Arpajon, je pense qu’il doit s’en souvenir ». Voilà comment il a été disculpé. La juge lui a dit : « comment se fait-il que vous ne m’ayez pas dit ça plus tôt ? » Il lui a répondu : « écoutez Madame la juge, je voulais vous démontrer que les policiers peuvent mentir et que les juges peuvent se tromper. »
Il est certain qu’il y a eu une acmé des persécutions pendant la guerre, mais ces persécutions existaient avant et elles ont continué depuis jusqu’à aujourd’hui.
LB. Quelles sont les persécutions que subit la population gitane de manière générale ?
HB. Le racisme institutionnel prend des formes variées. Il y a évidemment tout le contrôle avec les carnets de circulation — qui ont finalement disparu en 2017. Il y a les contrôles policiers à répétition. Il y a le problème du stationnement et tous les problèmes d’urbanisme liés au fait que l’on veut interdire aux Voyageurs d’habiter sur les terrains : c’est-à-dire qu’on refuse aux Voyageurs le droit de circuler, mais on les empêche aussi de se sédentariser. Tout cela vient du fait que l’on part de la dichotomie opérée par le code de l’urbanisme entre un terrain constructible et un terrain inconstructible, et on en tire la conséquence à mon avis erronée qu’un terrain inconstructible est inhabitable. C’est-à-dire qu’on refuse de reconnaître les habitats alternatifs.
Il y a toute une série de pratiques policières. Il y a également le fichier MENS (minorités ethniques non sédentaires) qui existait à une certaine époque et qui existe probablement toujours et qui recense les familles de Voyageurs. Il y a toute une série de pratiques policières qui sont bien ancrées dans l’histoire. Déjà à l’époque de la création des « brigades du Tigre » par Clémenceau en 1907, il y avait toute une série de politiques répressives orientées spécifiquement sur les Tziganes. Il y a eu le recensement de 1895, la création en 1912 du carnet anthropométrique. Tout cela s’est opéré sur la longue durée. On pourrait remonter encore plus loin, avec la volonté d’identifier les populations à partir de la seconde moitié du 19e siècle. Jusqu’au début du 19e siècle, il y avait des vagabonds et des chemineaux qui étaient des vagabonds, des errants – pas forcément des Bohémiens bien évidemment – et ça passait, c’était admis socialement. Mais, lors de la consolidation de l’État moderne caractérisé notamment par une volonté de recensement des populations et l’usage généralisé des statistiques, on a voulu contrôler les gens par des mécanismes comme le livret ouvrier dont le carnet de circulation des « gens du voyage » n’est que le dernier avatar. A partir de là, l’idée qu’il y ait des populations errantes ou nomades est devenue insupportable.
Tout ça est à mettre en lien avec la politique d’immigration qui se met en place à la même époque. On s’en rend compte clairement quand on regarde les travaux préparatoires de la loi de 1912 où le parallèle est fait constamment entre le traitement des populations « nomades » et la défiance constante envers tous ces gens qui viennent de l’Est et dont les activités paraissent mal définies.
LB. Justement, le carnet de circulation a été abrogé en 2017. Tu as plaidé pour obtenir son abrogation. Que peux-tu nous en dire ?
HB. Certains Voyageurs étaient partagés sur la question. Mais, assez vite, il y a eu consensus parmi eux sur le fait que le carnet était discriminatoire et devait être aboli. J’ai été en 2010 le premier avocat à saisir le conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité qui portait sur les mises en demeure préfectorales pour évacuer les terrains, une procédure administrative dérogatoire et réservéee aux « gens du voyage ». Il me paraissait intéressant symboliquement que les « gens du voyage » soient les premiers citoyens français à utiliser cette nouvelle possibilité offerte aux justiciables. Le recours a été rejeté.
En 2012, un deuxième recours a été fait sur l’ensemble de la loi de 1969, et donc notamment sur les carnets de circulation, qui a abouti très partiellement mais ça a été une étape qui a permis qu’en 2017 soient enfin abolis l’ensemble des titres de circulation des « gens du voyage ». Ce qui est quand même tout à fait étonnant quand on reprend les décisions de 2010 et 2012, c’est que le conseil constitutionnel semble ne voir aucun inconvénient à l’existence d’un statut spécifique sur une base raciale ou plutôt qu’il en nie l’existence contre toute évidence. Il y a quelques dispositions qui ont sauté entre-temps comme celle qui prévoyait que les « gens du voyage » devaient attendre trois ans pour voter quand ils s’établissaient dans une commune, à comparer aux six mois pour un citoyen lambda. Il y avait également une autre disposition tout à fait étonnante qui fixait à l’époque un quota maximum de 3 % de « gens du voyage » sur les listes électorales de chaque commune. On a évidemment soulevé l’inconstitutionnalité d’un tel quota. Est-ce que tu sais comment le conseil constitutionnel a motivé le refus d’abroger le quota ? Eh bien ils ne l’ont pas motivé. Ils ont dit que tout ça était constitutionnel, mais sans dire pourquoi. C’est bien dommage parce que j’aurais bien aimé qu’on m’explique comment un quota de 3 % sur des citoyens français pour l’exercice du droit de vote – admettons même que ce ne soit pas racial mais que ce soit une question de mode de vie ou de tout ce qu’on veut – je me demande comment on pourrait bien justifier une telle disposition.
LB. Pour en revenir au combat de Raymond Gurême, il s’est battu toute sa vie contre les discriminations et les injustices, on a beaucoup médiatisé le fait qu’il témoignait sur les camps d’internement pendant la seconde Guerre mondiale et sur sa propre histoire par rapport à ces camps, est-ce qu’il y a d’autres formes de combat ? On voit beaucoup de photos de lui avec un panneau « interdit aux nomades », qui est aussi le titre de son livre.
HB. Il s’est battu toute sa vie. Sa résistance a pris de multiples formes, d’abord pendant la guerre où il s’est évadé dix fois exactement, en particulier du camp d’internement de Montreuil-Bellay où il est revenu à plusieurs reprises pour apporter de la nourriture à sa famille. Il avait volé un camion plein de nourriture pour le compte de la Résistance et, après, quand il a fait une demande pour avoir une carte d’interné politique en 1982, on lui a refusé cette carte au motif d’un acte de délinquance, l’acte de délinquance étant justement le vol du camion. Ce vol avait été dénoncé par le directeur de l’établissement où il était à ce moment-là. Il avait été jugé par un tribunal allemand, envoyé dans un camp de travail en Allemagne, puis de là transféré dans un camp disciplinaire où à un moment un gardien lui disait « Schnell, schnell » (ce qui veut dire « vite » en allemand). Il répondait systématiquement : « ta gueule ». Ça a duré comme ça un certain temps, jusqu’à ce qu’un interprète soit obligé de traduire. L’interprète a dit à Raymond : « écoute ça va être dur pour toi, je suis obligé de traduire ». Et là, Raymond s’est fait défoncer l’arrière du crâne à coups de crosse. Il n’a eu la vie sauve que parce que deux de ses camarade, avec de l’eau, ont nettoyé et enlevé les petits bouts d’os. Raymond est quelqu’un qui porte sur son corps les stigmates de tous les combats qu’il a menés. Au même moment, il a eu le nez cassé. Il a toujours eu énormément de problèmes d’estomac à cause des privations de la guerre. Il a également sur les poignets des traces de menottes. Parce qu’il avait tiré sur ses menottes pour les enlever et donc la chair était partie avec. Il a sur le bras gauche la trace d’une balle allemande qu’il avait reçue en 1944 au moment de la Libération de Paris dans une fusillade place de la Bourse. Il avait également perdu l’œil gauche à cause d’une bombe soufflante américaine quand il était encore en Allemagne dans le camp de travail. Cela ne l’a pas empêché de s’engager dans une unité de FTP de Seine-et-Oise spécialisée dans le sabotage des chars le 17 juin 1944, deux jours pile après son retour d’Allemagne.
Tout ça pour dire que l’agression de la police en 2014 était gravissime, mais finalement, ce n’était pas grand chose pour Raymond eu égard à ce tout ce qu’il avait enduré auparavant. Un jour Raymond m’a dit qu’il avait failli y passer une dizaine de fois, et il n’incluait pas la descente policière de 2014 dans cette dizaine de fois. A plus de 80 ans, alors qu’il s’occupait d’une de ses juments, la Comtoise, dans un champ, il s’est emmêlé les pieds dans la chaîne de fer au bout de laquelle était le seau destiné à la jument. Quand celle-ci a bu, Raymond a été projeté par terre avec une double fracture ouverte du tibia et du péroné. Comme il était tard, qu’il faisait froid et qu’il était seul, une seule solution s’offrait à lui : ramper jusqu’à la route. Cela lui a pris cinq heures.
Donc des formes de résistance tout à fait multiples et variées et ce jusqu’à son dernier souffle.
Quand j’ai été avec lui à Auschwitz l’année dernière en 2019, j’ai vu une jeune rromni qu’il avait rencontrée au même endroit quelques années auparavant. Elle avait entre 20 et 30 ans, elle ne parlait ni français ni rromanes et il ne pouvait donc pas communiquer avec elle verbalement. On voyait qu’elle l’appelait « Papa », qu’elle l’adorait. Tout simplement parce que quelques années auparavant elle était venue se recueillir à Birkenau où une partie de sa famille était morte, et elle pleurait dans un coin les membres de sa famille assassinés qu’elle n’avait pas connus. La voyant en larmes, Raymond l’avait prise dans ses bras et l’avait consolée. Sans la connaître, et sans pouvoir parler avec elle. Il y avait chez Raymond un élan constant de solidarité, une chaleur humaine jamais démentie. Je me souviens d’une fois où nous étions à République dans je ne sais plus quelle manif, et on entend dire qu’il y avait un groupe de manifestants un peu plus loin qui avait un problème avec la police, et Raymond a dit tout de suite : « On y va, on y va, on va les aider ». Donc voilà : une résistance constante pendant 80 ans.
LB. Dans l’hommage que tu as publié dans Libération, tu dis que sa place est au Panthéon.
HB. Tout à fait. Il y a des gens qui ont été mis au Panthéon qui ne le méritaient pas autant que Raymond.
Raymond avait une ouverture d’esprit incroyable. Il parlait avec tout le monde. Il avait la capacité d’analyser les situations et d’avoir tout de suite la réaction juste. Il savait exactement ce qu’il fallait faire, et il était capable d’improviser. C’était très impressionnant. Il est connu en France mais il a une aura infiniment plus importante à l’international. Il suffit de regarder par exemple les réactions médiatiques à sa mort. On constate qu’il y a des médias tchèques, roumains, espagnols qui en ont parlé beaucoup plus que les médias français. Je pense que Raymond n’a pas fini son chemin et que son aura est appelée à grandir. C’est une histoire qui a été occultée. L’internement a été occulté. Le génocide aussi a été occulté et dans un premier temps nié dans son caractère racial. La participation des Voyageurs à la Résistance en France et dans les autres pays européens a aussi été occultée. Elle a été massive. Quelques historiens ont commencé récemment à travailler sur la question, notamment l’historienne et anthropologue Lise Foisneau, et on a beaucoup de témoignages de participation de gens qui n’ont jamais été reconnus. La famille de Raymond, on leur a tout pris, le cirque, le cinéma. On ne leur a jamais rien rendu. Il n’a pas reçu de médaille pour son action dans la Résistance. On lui a même refusé la carte d’interné politique au motif qu’il aurait été délinquant – la délinquance étant, rappelons-le, le détournement d’un camion allemand au profit de la Résistance. En 1983, quand il a appris ça, de fureur il a brûlé son brassard FFI. Il a fini par avoir la carte en 2009. Et c’était comique car il y avait dessus la photo de trente ans auparavant, celle de 1982.
Il y aurait encore tellement à dire. Sa vie est représentative de ce qu’ont vécu beaucoup de gens mais son courage et son charisme sont proprement exceptionnels. Ce qui le motivait avant tout, c’était la lutte contre l’injustice et la lutte pour les droit des gens qui étaient dans la misère. C’est vraiment ça qui le motivait avant toute autre considération.
Lorsqu’une semaine avant sa disparition, Raymond est revenu à Saint-Denis dix ans après la première Fête de l’insurrection gitane, à l’endroit même où, pour la première fois le Journal d’un bourgeois de Paris avait signalé la présence de Bohémiens en 1427, il a lancé un ultime appel à résister et dit qu’il était toujours passé au travers. De fait, il a réussi à survivre au covid-19 et au confinement qui lui avait sans doute rappelé de tristes souvenirs de l’époque où il était interné dans le camp en face duquel il s’était installé en 1968. Raymond aura survécu une fois de plus. Chapeau l’artiste !
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Hommage à Raymond Gurême
publié par Le paria le 27 mai 2020
Raymond Gurême était manouche. Né en 1925, il fut interné au camp de Linas-Montlhéry durant la Seconde Guerre mondiale. Acrobate, il s’en évada, fut repris, s’en évada encore. Enfermé dans un établissement de redressement pour mineurs, il en détourna, au profit du maquis, un camion de ravitaillement, ce qui lui valu d’être déporté dans un camp de travail en Allemagne. Il s’en évada aussi, retourna en France pour rejoindre les rangs de la Résistance.
Il a dix-neuf ans lors de la Libération de Paris. Il a été décoré de la médaille des Arts et des lettres et a passé sa vie à combattre le racisme. En 2014, il a de nouveau été passé à tabac par la police française : pour les voyageurs, les choses n’ont pas beaucoup changé en un siècle.
Raymond Gurême est mort hier.
Repose en paix
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Raymond Gurême est mort. Une profonde émotion m’étreint en écrivant ces mots. Cette nouvelle apparaît presque irréelle tant Raymond a toujours incarné la vitalité et l’exigence de révolte aux yeux de toutes celles et tous ceux qui ont la chance de le connaître et de l’aimer. Raymond n’a rien d’un vieillard mais tout d’un Gavroche circassien, lui qui avait fait ses débuts à l’âge de 2 ans sur la scène du cirque familial, lequel faisait aussi et surtout office de cinéma ambulant. C’était le temps de l’insouciance avant celui des épreuves. La vie de Raymond a définitivement basculé le 4 octobre 1940, lorsqu’il a été arrêté par des policiers français et enfermé avec sa famille dans plusieurs camps d’internement. […] Lire l’article
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Carte d’interné politique : « From circus acrobat to Resistance fighter: the story of Raymond Gurême », Forgotten cosmopolitans, 25 novembre 2019.
« Chapeau l’artiste » : « Mon ami Raymond Gurême, tout à l’heure, dans son camping-car », Back to the streets, 4 janvier 2019.
Raymond Gurême au flashmob contre les violences policières
publié sur le collectif de soutien à Raymond Gurême