Leparia dans l’émission “Comme un bruit qui court” sur France inter
samedi 29 avril de 16h à 17h
Moha, une vie de paria
Comme Un Bruit vous raconte cette semaine l’histoire de Mohamed, paria parmi les parias, sur les routes de l’exil entre l’Allemagne, la France et l’Algérie. Avec l’aide de Laurent Bazin, anthropologue, il met des mots sur son expulsion en 2012 par décision de police. Il raconte son enfance, les camps de réfugiés, les foyers, la délinquance, les gardes-à-vue, les tribunaux, la prison, le centre de rétention, les frontières qu’il a fallu “brûler”. Après 15 ans de vie en France, il est renvoyé en Algérie, un pays qu’il a quitté à l’âge de 7 ans et où il n’a plus aucune attache. De retour en France, l’administration lui refuse un titre de séjour. Il est aujourd’hui sans-papiers et soumis à une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). C’est donc un long combat qui se poursuit pour obtenir un statut, une reconnaissance sociale et juridique. Un combat qu’il mène pour lui, et pour tous les parias.
Un reportage de Charlotte Perry
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Notre récit de l’interview
Lors de la soirée de présentation de notre travail Leparia.fr et de nos projets au café de la Commune libre d’Aligre, le 21 avril 2017, nous avons reçu la visite de Charlotte Perry, journaliste à Radio France, qui anime avec deux compères l’émission “Comme un bruit qui court”, le samedi de 16h à 17h sur France inter.
Nous avons donné rendez-vous ce mardi 26 avril avec Charlotte. Nous nous sommes retrouvés au métro Jaurès, avant de l’emmener dans notre espace de travail.
Nous tenions à lui expliquer à quel point la réalité des réfugiés de Jaurès-Stalingrad avait marqué notre travail d’écriture. Nous avons l’habitude de nous retrouver au métro Jaurès, puis de rejoindre ensemble notre espace de travail, qui se situait à l’époque au Shakirail, rue Riquet. De la fin juin, lorsque nous avons commencé à écrire, jusqu’en novembre, lorsque le camp a été démantelé, deux fois par semaine, nous pouvions voir l’évolution du camp de réfugiés de Stalingrad-Jaurès. D’où les premières photos en Guest parias que nous avons publiées sur le site : c’est un moment de l’évolution de ce camp marqué par une intervention de police, une opération “administrative” de contrôle.
Deux fois par semaine, pour atteindre le Shakirail nous devions donc longer le camp de réfugiés qui s’étalait autour de la Rotonde et le long de l’avenue de Flandres. Plus de 3 000 personnes campaient là. Un camp d’étrangers réduits à l’état d’une horde de clochards. La misère étalée dans la rue, l’odeur de pisse. Sur l’avenue de Flandres, campaient les Soudanais et autres originaires Afrique orientale. Les Afghans et les Syriens étaient plus loin. Moha s’attardait parfois à leur poser quelques questions pour comprendre la situation et tester sa compréhension de l’arabe soudanais. Souvent, de longues files s’étiraient pour recevoir des plats chauds, parfois même du thé, que des associations distribuaient. Sur le parvis de la Rotonde, des bénévoles donnaient des cours d’alphabétisation, deux soirs par semaine.
De temps en temps les camions de nettoyage de la mairie passaient, avec leurs jets d’eau, mouillaient tentes, vêtements et quelques maigres affaires, qui étaient ensuite mises à sécher sur des étendoirs de fortune — s’il ne pleuvait pas. On apprenait parfois que la police était intervenue pour démanteler le camp, qui se reformerait quelques jours après. Elle avait détruit les tentes, qui coûtent très cher aux associations qui les distribuent. Les autorités ont fini par démanteler définitivement le camp, mais les infrastructures sont insuffisantes, de nombreux problèmes se posent. Après l’évacuation du camp, l’avenue de Flandres, comme tout le quartier, est désormais cernée de grilles.
Tout cela nous touchait énormément, surtout Moha. Car ça faisait écho en lui à des choses à la fois enfouies et immédiates. Écho de son enfance : il logeait avec ses parents dans des foyers de réfugiés en Allemagne. L’un d’eux s’est fait attaqué une nuit par une bande néonazie. Moha avait 8 ans. Il en a été épouvanté. Premier signe de rejet, traumatisant, qu’il a vécu en Europe. Écho immédiat. Il n’y a pas si longtemps Moha était de l’autre côté de la Méditerranée. Il y était, parce qu’il y avait été refoulé. En termes techniques, il avait été “raccompagné à la frontière”. La frontière : c’est bien là que se joue le drame de l’Europe. Plus de 5000 morts chaque année. Il avait été “raccompagné à la frontière” et balancé de l’autre côté, à partager le sort de la multitude de ceux qui essaient de franchir la mer, en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Libye, en Turquie, au péril de leur vie. Il était exilé de l’autre côté, envisageant de partager ces mêmes routes des Balkans que les médias montraient en 2015 parcoures par des foules en exode tandis que les frontières se fermaient une à une devant eux.
Ceux-là mêmes, étant parvenus jusqu’à Paris, se voyaient confinés en camps de mendiants, dépendant de la mobilisation des associations et des habitants du quartier pour survivre. Harcelés par la police, alors que les autorités n’assuraient que l’hygiène des rues : pissotières publiques, ramassage des ordures et nettoyage au jet d’eau. Il n’y a pas si longtemps, Moha étaient de ceux-là, de ceux que l’Europe confine dans la condition d’indésirables, de parias. En octobre, tandis qu’on traversait deux fois par semaine ce camp de réfugiés, Moha a reçu l’Obligation de quitter le territoire français que lui a adressée la sous-préfecture, en réponse à sa demande de titre de séjour. Il expliquait dans son dossier que sa vie était en France. Réponse : “vous avez un mois pour quitter le territoire français” : quelle plus claire expression que la place que l’administration française lui assigne est celle d’un paria : hors-statut juridique.
C’est pour cette raison que nous avons choisi Leparia comme nom pour ce site.
C’est tout cela que Laurent explique à Charlotte en chemin, en longeant l’avenue de Flandres (photo de Une). Les photos suivantes représentent l’entrée au Shakirail, et un moment d’interview dans notre espace de travail.