Nicolas Jounin, sociologue et syndicaliste, accusé d’avoir frappé un CRS lors de la manifestation contre la loi El-Khomri le 28 avril 2016, avait été condamné à six mois de prison avec sursis. C’est en réalité lui qui avait subi l’attaque violente des CRS.
La cour d’appel vient de le relaxer… quatre ans plus tard !
Nous publions ci-dessous une sélection d’articles relatifs à cette affaire de violences policières et judiciaires. Parmi ces articles, une analyse de Guillaume Vadot, doctorant en sciences politiques, qui a été lui-même victime d’une attaque violente, physique et verbale, d’une patrouilles de policiers qui se comportait comme une milice d’extrême droite.
C’est, souligne France Bleu, David le Bars, commissaire divisionnaire de Seine-Saint-Denis qui a rédigé le rapport à charge contre Nicolas Jounin, prétendant l’avoir formellement identifié comme l’auteur de violences sur un policier de la BAC . Tous les articles de presse soulignent les incohérences du rapport en question ; le magazine Le point que l’on peut difficilement soupçonner d’accointances avec un syndicaliste cégétiste, et qui nie habituellement toute violence policière, souligne “la part sombre” de ce rapport. Un an plus tard, David Le Bars a été récompensé de ses bons et loyaux services par la médaille d’argent de la sécurité intérieure. En 2018, il est devenu secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale française. Il est l’auteur d’un livre : La haine dans les yeux paru en 2019. Une caractéristique de la pensée réactionnaire : inverser les rapports de domination.
En fin de page on trouvera les publications de Nicolas Jounin. Contrôles au faciès, grève des sans-papiers, différenciation de classes, et le racisme comme mode de structuration du travail dans le secteur du bâtiment : tels sont les objets qu’il a successivement traités dans ses recherches. On ne peut raisonnablement pas penser qu’il n’y a pas de lien entre le teneur de ses travaux et les poursuites invraisemblables dont il a fait l’objet…
Le sociologue Nicolas Jounin accusé de violences envers un policier a été relaxé
publié sur France Bleu, le 24 janvier 2020
Nicolas Jounin, sociologue et ancien professeur à l’université Paris 8 de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), accusé de violences contre un policier en 2016, a été relaxé ce vendredi 24 janvier par la cour d’appel de Paris.
Nicolas Jounin a été relaxé ce vendredi par la cour d’appel de Paris. Ce sociologue, ancien professeur à l’université Paris 8 de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et militant CGT, avait été condamné, en octobre 2016, à six mois de prison avec sursis pour des violences contre un policier.
Le policier avait [NDLR prétendu avoir] été frappé lors d’une manifestation contre la Loi Travail en avril 2016, lors d’une manifestation qui avait réuni 200 personnes à Saint-Denis. Les accusations se sont portées sur Nicolas Jounin mais ce dernier les a toujours niées. Condamné à six mois de prison avec sursis, il avait décidé de faire appel.
Ni le policier en question, ni l’ancien commissaire divisionnaire de Saint-Denis, David Le Bars (devenu secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale) dont le témoignage à charge avait joué dans la balance, n’étaient présents, lors du second procès en décembre dernier.
Joint par France Bleu Paris, Nicolas Jounin se réjouit de cette relaxe : “Je suis satisfait de cette décision même si je regrette qu’il a fallu attendre quatre ans pour y arriver et que ni la justice ni la police n’a pu ordonner entre temps les investigations nécessaires”.
Au tribunal, le sociologue, sa “calvitie” et le PV du commissaire
par Jules Metge, publié dans Le Monde, 7 octobre 2016
Malgré les contradictions autour de son identification, un homme comparaissait jeudi 6 octobre à Bobigny pour avoir frappé un policier lors d’une manifestation contre la loi travail.
« Non, je ne reconnais pas les faits », déclare Nicolas Jounin. Le sociologue de 35 ans, ancien professeur à l’université Paris 8, comparaissait jeudi 6 octobre, au tribunal de grande instance de Bobigny, pour « violences sur personne dépositaire de l’ordre public ». Les faits remontent au 28 avril : dans le cadre des mobilisations contre la loi travail, un policier chargé du maintien de l’ordre est « piétiné » et frappé par un manifestant près du carrefour Pleyel, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Un homme est interpellé, Nicolas Jounin, et le policier blessé reçoit une incapacité totale de travail d’un jour.
Dans le procès-verbal dressé le 28 avril par le commissaire de police, l’homme qui aurait agressé le policier est décrit ainsi : « Taille moyenne, calvitie partielle ». Si l’accusé se reconnaît dans la description faite, la défense tourne justement autour de cette « calvitie » : Nicolas Jounin portait un bonnet ce matin d’avril. Non pas pour cacher son identité aux policiers comme d’autres manifestants, précise son avocat Raphaël Kempf, mais pour se « protéger du froid » ; des photos et un bulletin météo ont été déposés dans le dossier pour le justifier. Pour Me Kempf, le commissaire aurait décrit a posteriori un manifestant interpellé au hasard dans la bousculade, son client.
A la barre, la victime indique qu’elle n’a pas vu son assaillant et n’a retenu de lui qu’un « sacré gabarit ». « Pensez-vous que Monsieur Jounin est un sacré gabarit ? », demande, amusé, Me Kempf au policier. Le sociologue, de « taille moyenne », et le policier, très grand, sont presque côte à côte : devant leur différence de taille, la salle ne peut s’empêcher de rire. Le policier, qui n’a pas voulu se porter partie civile, admet qu’il ne pourrait pas reconnaître son agresseur. Le commissaire de police, celui qui a formellement identifié Nicolas Jounin comme l’auteur des violences dans les deux procès-verbaux qu’il a dressés, n’est pas venu au procès. (lire la suite)
Le sociologue Nicolas Jounin raconte son arrestation musclée
par Sylvie Ducatteau, publié dans L’Humanité, 2 mai 2016
Nicolas Jounin est sociologue, universitaire et conseil pour les comités d’hygiène et de sécurité des entreprises. Il est l’une des nombreuses victimes de la répression policière du 28 avril. Interpellé brutalement, il a été placé sous contrôle judiciaire dans l’attente de son procès.
Nicolas Jounin est un jeune sociologue reconnu « intègre, honnête, engagé. Ses recherches sont en cohérence avec ses idées et ses actes », témoigne sa collègue Danièle Linhart, directrice de recherche honoraire au CNRS. Tous deux se connaissent pour avoir fréquenté le même laboratoire de recherche consacré au travail. Autant dire qu’il sait de quoi il parle quand il évoque la loi El Khomri : « Un texte vicieux, juge-t-il, qui battra en brèche progressivement le droit du travail au profit des accords d’entreprise qui lamineront le socle commun. » Lui s’est particulièrement intéressé aux chantiers de construction. Son enquête publiée à la fin des années 2000 a même inspiré une bande dessinée, parue en janvier dernier. Et puis, il y a eu Voyage de classes. Le récit d’une expérience pédagogique au cœur d’un quartier bourgeois de la capitale où il a emmené ses étudiants de l’université Paris-VIII Saint-Denis pour les former à la pratique de l’enquête sociologique. La confrontation de deux mondes, comme ces deux jours qu’il vient de vivre entre police et justice. (lire la suite de l’article)
Le commissaire a dit. Six mois de prison pour le sociologue enragé
par Guillaume Vadot (doctorant en sciences politiques), le 4 novembre 2016
Ce jeudi 3 novembre, le sociologue Nicolas Jounin a finalement été condamné à six mois de prison avec sursis pour une agression imaginaire sur un policier. La procureure de Bobigny avait requis huit mois lors du procès tenu le 6 octobre dernier, quelques heures après la conférence de presse que j’avais organisé en mairie de Saint-Denis pour dénoncer les violences policières que j’ai subies. Le collègue se réserve évidemment le droit de faire appel. Mais, déjà, son histoire constitue une petite tranche de vie sous état d’urgence permanent.
Parole assermentée, parole d’évangile (et procureure-pasteure)
D’abord à travers la comédie qui a tenu lieu de procès. Bien sûr, il y a toujours quelque chose de factice chez une justice qui feint de ne pas voir que ce qu’elle traite au quotidien témoigne de ce qu’est notre société et non de déviances individuelles qui se répéteraient à l’infini, sans que l’on ne puisse savoir pourquoi (la nature humaine…). Mais, ici, quand on se penche sur ce qui a été dit à Bobigny, on se demande jusqu’où peut aller la farce. D’ailleurs, l’audience du procès a ri plusieurs fois, surprise par tant d’absurdité dans l’argumentation à charge contre le collègue. Car, sur quelle base vient d’être condamné Nicolas Jounin ? Non pas les déclarations de sa prétendue victime, qui se dit incapable d’identifier le manifestant qui l’aurait faite basculer à terre et l’aurait frappée. Ce policier de la BAC, plus grand que Nicolas de dix bons centimètres, affirme par ailleurs que la personne qui l’a agressé était « d’un sacré gabarit ». Et a fait des déclarations différentes entre son propre PV et sa visite médicale.
Non, c’est le commissaire de Saint-Denis, David Le Bars, qui s’est chargé de l’identification. Alors qu’il est très peu sûr, au vu de la disposition des faits, que cet officier ait pu voir ce qui se passait. Alors qu’il a été démontré lors du procès par Raphaël Kempf, l’avocat de Nicolas Jounin, que la description faite par ce commissaire l’avait été a posteriori, puisqu’elle insistait sur la « calvitie » du collègue, pourtant couverte d’un bonnet ce matin du 28 avril. « Est-ce qu’un commissaire de police peut désigner quelqu’un par hasard ? », s’était contentée de répondre la procureure le 6 octobre. « Est-ce qu’il va mentir sur procès-verbal alors qu’il est passible de cour d’assises ? ». Drôle d’argumentation, qui veut faire reposer un jugement sur la qualité des acteurs, au sens que le mot avait sous l’Ancien régime. Le ci-devant commissaire ne fut donc pas inquiété, malgré les faiblesses cocasses de ses déclarations, qui constituent les seules « preuves » contre le sociologue.
À défaut de preuves, justement, la procureure s’était lancée dès le 29 avril dans un prêche douteux. Alors que Nicolas Jounin refusait la comparution immédiate, elle évoquait le « contexte actuel et les risques de récidive alors que de nouvelles manifestations sont programmées » pour demander…son placement en détention provisoire jusqu’au 6 octobre (vous avez bien lu) ! J’y repensais le 4 octobre dernier quand, lors du passage en cassation du « procès des contrôles au faciès », l’agent judiciaire de l’État avait placé au cœur de sa plaidoirie le fait que les centaines de pages de rapports sociologiques et statistiques qui prouvaient la réalité de cette racialisation par le travail policier n’étaient pas recevables, car la justice n’est pas là pour évaluer « un contexte » mais uniquement « des faits précis et circonstanciés ». Le jeudi 6 octobre donc, à Bobigny, cette procureure a cherché en vain l’effet dramatique en évoquant « une scène hallucinante de violence collective, où 150 personnes enragées tentent de forcer un barrage de police », en expliquant au sujet du sérum physiologique que Nicolas avait dans ses poches que « ces fioles, elles permettent de persévérer dans la violence ». Mais oui…
Et pourtant, le 28 avril…
Les juges, ces juges que les policiers qui manifestaient ces derniers jours accusent de « laxisme », ont donc suivi cette représentante de l’État dans sa recommandation de faire preuve d’une « particulière sévérité » sur la foi de cette farce scénarisée par le commissaire de Saint-Denis. Pour sauver la face de celle-là ? La carrière de celui-ci ? Même s’il peut y avoir ce genre de tensions en interne de l’appareil répressif, même si la procureure en a joué explicitement en rappelant aux juges que mettre en cause le témoignage du commissaire serait imposer un saut à la procédure, il me semble que c’est surtout parce qu’il n’était pas possible de punir le 28 avril ce dernier que Nicolas Jounin a servi d’exutoire.
Le 28 avril était jour de mobilisation nationale contre la loi travail. Les cheminots étaient en grève. Les intermittents et précaires aussi, et de manière reconductible depuis plusieurs jours. Étudiants et lycéens manifestaient. On était au cœur des quatre mois de lutte de ce printemps. Et, chaque jour, des textos arrivaient donnant rendez-vous pour une action le lendemain. Ce jeudi matin, donc, à l’appel de l’assemblée générale interprofessionnelle de Saint-Denis, près de 300 personnes s’étaient retrouvées dès 6 h pour installer un barrage filtrant et distribuer des tracts aux salariés du port de Gennevilliers. J’étais pour ma part, avec le comité de mobilisation de Paris 1, présent en soutien à la gare d’Austerlitz. Nous étions beaucoup à suivre de loin cette action à travers les boucles de SMS. Je me souviens que les CRS ont commencé par déloger le barrage filtrant et repousser le groupe de manifestants, qui a décidé de converger vers l’AG prévue à Saint-Denis. Puis, des messages d’alertes : ils et elles étaient nassés à Carrefour Pleyel. Des collègues, des amis et étudiants de Paris 8 m’écrivaient. Une centaine d’entre eux était en train d’être embarquée, manière d’empêcher leur AG, d’affaiblir la manifestation de l’après-midi, qui se reproduira chaque fois plus intensément jusqu’à la ronde humiliante imposée le 28 juin autour du bassin de la Bastille. C’est à ce moment-là que N. Jounin, mais aussi Nicolas Palmyre, syndicaliste et cheminot d’Austerlitz, ont été brutalisés et interpellés. Depuis la gare, puis la manifestation, s’était organisé le rassemblement qui, dès le lendemain, avait rassemblé 300 personnes devant le tribunal de Bobigny.
Ce 28 avril, nous ne savions pas encore que les raffineurs s’apprêtaient à entrer eux aussi en grève illimitée, faisant monter d’un cran le niveau de confrontation ; d’autant qu’ils se joignaient à leurs collègues des ports et docks, et précédaient le mouvement finalement suivi par celles et ceux de la SNCF. Le soir de ce jeudi-là, sur la place de la République dans le cadre de Nuit Debout, s’était aussi tenue une assemblée bien particulière, regroupant plus de 2000 personnes autour de représentants de plusieurs secteurs en lutte…mais aussi de Philippe Martinez, qui sortait tout juste du congrès de la CGT. Des centaines de questions le pressaient, sur la plateforme en ligne et sur la place, pour lui demander de lâcher la bride, d’aller vers la généralisation du mouvement, tous ensemble et en même temps. Ce n’est pas par nostalgie que je ravive ces souvenirs, mais pour faire comprendre quel est le vrai « contexte » de la farce de Bobigny, et d’où ses dramaturges ont tiré leurs motifs et leur détermination.
« Et quand Daech viendra à la Sorbonne, vous allez vous branler ? »
Quand, le 22 septembre dernier, j’ai voulu filmer le contrôle violent d’une femme noire, une scène que j’étais loin de voir pour la première fois, les policiers (de Saint-Denis là aussi) qui m’ont violenté m’ont demandé ce que nous, profs, ferions si Daech venait à la Sorbonne : « vous allez vous branler ? ». Ils évoquaient la menace terroriste pour justifier leur brutalité vis-à-vis de cette dame racisée qui avait perdu son pass Navigo, et réaffirmer leur impunité. Mais, aussi, ils étaient spécifiquement « enragés » (oui, Madame la procureure) par le fait que je sois enseignant : « sale gauchiste ! ». Car, à leurs yeux – et ils n’ont pas entièrement tort, tout en étant loin d’avoir raison, malheureusement – l’université incarne la résistance qui s’est développée au printemps contre les réformes libérales et la course de vitesse autoritaire. Cet autre jeudi se sont donc condensées et renforcées mutuellement, en quelques minutes, les violences « au faciès » de la police (et des gendarmes, dans le cas d’Adama Traoré et de nombreux autres) dans une ville comme Saint-Denis, et la hargne répressive qui s’est libérée ces derniers mois contre ceux qui se levaient pour faire obstacle à la loi travail. Le tout dans le cadre de l’état d’urgence, où toute contestation, toute déviance, peut être assimilée au terrorisme. Encore une fois, il y a bien un « contexte » aux violences policières, à la répression judiciaire. Qui dira que celui-ci n’est pas général et politique ?
Depuis plus de deux semaines, des policiers manifestent régulièrement la nuit, ou devant des lieux de pouvoir, débordant leurs propres syndicats, et les règles auxquelles ils sont soumis. Beaucoup de commentateurs ont noté le mimétisme formel de ces démonstrations avec le mouvement Nuit Debout, où avec des pratiques de manifestations développées au printemps. Comme nous le pointions à plusieurs, syndicalistes, universitaires et familles de victimes dans une tribune parue sur Mediapart vendredi dernier, leurs revendications elles aussi sont inspirées du printemps, mais sur un autre mode, celui de l’antagonisme. Des peines plus lourdes pour les accusés d’outrage, de rébellion ou de violences sur personnes dépositaires de l’autorité (comme c’est le cas de Nicolas Jounin), le retour des peines planchers et la fin du sursis (il aurait du être envoyé carrément six mois derrière les barreaux ?), plus de moyens ou encore une présomption de légitime défense quand ils blessent ou tuent. Et ces policiers ont obtenu gain de cause sur presque tout. Leur dissidence se trouvait en effet assez conforme, dans son contenu, au cours politique d’ores et déjà suivi par le gouvernement.
Relaxe pour Nicolas Jounin, faisons front contre ce tournant autoritaire et policier
On le voit, la farce dont est victime Nicolas Jounin n’est qu’un épisode d’une comédie plus générale, d’un véritable tournant autoritaire et répressif qui, au prétexte du terrorisme, prétend doter l’État de la force nécessaire à faire passer un agenda néolibéral auquel la grande majorité de la population ne consent toujours pas, malgré trente ans de « pédagogie ». Le cibler, lui syndicaliste et sociologue du travail reconnu, c’est tenter une démonstration symbolique à l’ensemble des enseignants-chercheurs et au monde de l’université : votre statut ne vous met pas à l’abri. La logique est la même, cette fois envers le monde du travail dans son ensemble, quand les huit ex-salariés de Goodyear sont condamnés à 24 mois de prison. Il n’est pas admissible que Nicolas Jounin, pas plus que toutes et tous les autres, servent à cette démonstration politique réactionnaire. Ce changement des coordonnées dans lesquelles nous évoluons, entre répression directe et remise en cause des droits démocratiques, ne pourra être contré que s’il lui répond un changement dans nos consciences. Notre résistance doit aller de pair avec un refus, désormais, d’accepter le traitement réservé par l’État aux classes populaires et aux populations racisées dans les quartiers. Car c’est ainsi, dans cette alliance, qu’elle trouvera l’énergie qui lui est nécessaire. C’est le sens de l’appel à « faire front » qui avait été lancé à Paris 1 lors d’un meeting le jeudi 6 octobre. Et le lien indissoluble qui unit le combat du printemps et ceux de cet automne.
Guillaume Vadot, 4 novembre 2016
Vidéo. Nicolas Jounin à sa sortie du tribunal
publiée sur youtube le 29 avril 2016
Publications de Nicolas Jounin
Le faciès du contrôle
Contrôles d’identités, apparence et mode de vie des étudiant(e)s en Île de France
Article publié dans la revue Déviance et société, n°39, 2015, pages 3-29
par Nicolas Jounin, Fatine Ahmadouchi, Yasmina Kettal, Nina Krumnow, Alice Mimoun, Laëtitia Mokrani, Jordan Mongongnon, Pierre Orsini, Camilla Otto, Lucie Rondou, Awa Tamega, Loïse Tilbourg, Aurélie Bachiri, El Hadj Touré, Ulysse Tubeuf, Boubou Bakhayokho, Julien Bihet, Requia Bouali, Nedjma Cognasse, Sarah El Mellah, Camille Gicquel et Marie Josse
L’idée que l’activité de la police s’ajusterait au « faciès » de son public est ancienne. Par exemple, avant la guerre d’indépendance de l’Algérie, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) dénonce les « rafles au faciès » menées par la police en métropole à l’encontre des Algériens (Blanchard, 2011, 110-117). À l’époque déjà, l’expression ne désigne pas une pratique réservée à ceux qui ont le statut légal d’étrangers. L’action policière mise en cause vise des Français (« musulmans d’Algérie » certes, mais jouissant en théorie de l’égalité des droits sur le sol métropolitain) formant une population massivement perçue comme illégitime et potentiellement dangereuse par les pouvoirs publics et une partie des autres Français (Blanchard, 2007, 5 ; Rigouste, 2009). Un quart de siècle après, l’association SOS Avenir Minguettes, à l’origine de la Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983, réclame que les institutions répressives de l’État ne sanctionnent pas sur la base de préjugés sociaux et ethniques (cité par Hajjat, 2012, 674). À partir de 2011, un ensemble d’associations et de syndicats (dont une partie se regroupent dans un collectif nommé « Stop le contrôle au faciès ») lance une série d’actions médiatiques mais aussi judiciaires, contribuant ainsi à raviver le débat.
À partir d’une enquête par questionnaire auprès d’un échantillon de 2363 étudiants portant sur leurs expériences du contrôle d’identité, nous essaierons ici d’identifier quelques facteurs susceptibles d’accroître la probabilité d’avoir vécu un contrôle. Nous avons choisi d’interroger des étudiants parce que nous voulions une population jeune, et qu’il s’agit d’une frange de la jeunesse qui présente l’avantage d’être facilement logeable dans des amphithéâtres ou salles de classe – tout en ayant l’inconvénient de ne pas être représentative de sa classe d’âge. Les facteurs potentiellement liés au contrôle que nous avons sélectionnés pour cet article tiennent au comportement, aux pratiques et à l’apparence, c’est-à-dire à des aspects directement appréhendables de l’extérieur, dans l’espace public. Nous cherchons à comprendre, à partir de l’expérience de ces étudiants, les éléments susceptibles de retenir l’attention des policiers, et non de dresser un état des lieux des inégalités face au contrôle d’identité. C’est la raison pour laquelle nous laisserons de côté des variables comme le diplôme et l’origine sociale, bien que notre questionnaire comporte des questions permettant de les saisir. Si l’on établissait que ces dernières ont un lien statistique avec la probabilité d’être contrôlé, il resterait à comprendre les médiations par lesquelles de tels attributs a priori invisibles se donnent à voir dans l’espace public.
Après un examen de ce que recouvrent l’expression « contrôle au faciès » et sa cousine anglo-saxonne racial profiling, et des manières de tester l’hypothèse qu’elles impliquent, nous expliciterons notre méthodologie. Le questionnaire permet d’interroger l’expérience du contrôle d’identité selon la race, en l’articulant au sexe, au look et à un certain nombre de pratiques quotidiennes. La race présente un lien significatif avec la probabilité du contrôle lorsqu’on neutralise, au moyen d’une régression logistique, les différences de pratiques entre Blancs et non-Blancs. Mais le sexe et le look semblent des éléments encore plus déterminants. Au-delà de la sélection qui préside aux contrôles, les trois variables ont également un lien avec les formes de leur déroulement. (Accéder à l’intégralité de l’article)
Voyage de classes
Des étudiants de Seine-Saint-Denis enquêtent dans les beaux quartiers
par Nicolas Jounin
Éditions La Découverte, 2014
Prix lycéen 2016 du livre d’économie et de sciences sociales
Boire un café dans un palace pour observer ce qui s’y passe (et être traité comme un client illégitime), stationner dans les boutiques de luxe pour décrire leur organisation (et se faire mettre dehors), apprendre à manger un mille-feuilles à 14 euros avec des « bourgeoises », approcher des institutions prestigieuses où les femmes n’ont pas le droit de vote, se faire expliquer le Bottin mondain et l’arrangement des mariages, interviewer dans son hôtel particulier un grand dirigeant qui « fait partie de ces familles qui ont des châteaux un peu partout » : ce sont quelques-unes des expériences que ces étudiants du 93 ont vécues. En même temps qu’il leur a fallu dompter l’exotisme pour bien comprendre le milieu dans lequel ils pénétraient, ils ont dû encaisser l’humiliation des multiples rappels à l’ordre social que suscitait leur démarche.
Des premières incursions anonymes et timides jusqu’aux face-à face sans échappatoire, ce livre raconte de manière crue et joyeuse les batailles livrées pour mieux connaître un monde social dominant. L’enjeu : renverser l’habitude qui veut que ce soit « ceux d’en haut » qui inspectent l’existence de « ceux d’en bas ».
On bosse ici, on reste ici !
La grève des sans-papiers : une aventure inédite
par Pierre Barron, Anne Bory, Sébastien Chauvin, Nicolas Jounin, Lucie Tourette
Éditions La Découverte, 2011
Le 15 avril 2008, trois cents travailleurs sans papiers se mettent en grève et occupent leurs entreprises, en région parisienne. Ils seront bientôt des milliers. Ce mouvement est inédit : il lie un mode d’action traditionnel du mouvement ouvrier, une grève avec occupation des lieux de travail, à la revendication centrale de la lutte des sans-papiers, la régularisation. S’ouvrent alors deux années de lutte, tantôt souterraine, tantôt médiatisée, dont ce livre retrace l’histoire de façon très vivante.
Ces grèves révèlent que des pans entiers de l’économie (construction, nettoyage, restauration, confection, aide à la personne…), des petites aux grandes entreprises, du traiteur du coin aux familiers du pouvoir, de l’intérim aux ministères, reposent sur le recours à une main-d’œuvre qui, privée de titre de séjour, devient la proie et l’instrument du dumping social. En contestant cette situation, des milliers de grévistes sans papiers ont pointé les contradictions de la politique de l’« immigration choisie » promue par Nicolas Sarkozy.
Fruit d’une enquête collective, réalisé à partir d’observations directes (sur des piquets de grève, lors de manifestations, réunions, assemblées générales de grévistes…), de la collecte d’archives (tracts, dossiers de grévistes, protocoles de fin de conflit, circulaires ou notes des ministères), mais aussi d’une centaine d’entretiens avec des grévistes, des syndicalistes ou associatifs soutenant ou encadrant le mouvement, des employeurs, des agents de l’État à un niveau local et national, ce livre raconte au plus près les péripéties de ce mouvement, et en analyse les enjeux économiques, syndicaux et politiques.
(Accéder à la notice du livre)
Chantier interdit au public
Enquête parmi les travailleurs du bâtiment
par Nicolas Jounin
Éditions La Découverte, 2009
Le secteur de la construction a souvent défrayé la chronique économique ou judiciaire, mais le quotidien des chantiers demeure obscur. C’est ce quotidien qu’explore ce livre. L’auteur, qui s’est immergé durant une année dans le monde du béton armé parisien, en tant qu’ouvrier, retrace ici l’itinéraire de son enquête. Au fil des expériences et des rencontres, il expose les conditions d’emploi et de travail liées au recours croissant à la sous-traitance et à l’intérim : division des collectifs ouvriers, infériorisation et culpabilisation des sous-traitants et des intérimaires, pratiques illégales d’employeurs, contradictions pesant sur la sécurité au travail, recours massif à une main-d’œuvre étrangère fragilisée et parfois sans papiers, racisme et discriminations…
L’enquête ébranle au passage certaines idées reçues et témoigne également des résistances des travailleurs concernés. S’ils s’affrontent rarement à leurs employeurs, ils entretiennent en revanche une révolte souterraine qui peut menacer à l’occasion les constructions et contraindre les employeurs à mettre en œuvre des aménagements. L’implication physique de l’auteur dans son enquête permet une restitution fine des situations rencontrées et offre une immersion impressionnante dans cet univers méconnu du bâtiment.
(Accéder à la notice du livre)
Photo de Une : Extraite de L’Humanité : “Après une journée en garde à vue et une nuit au dépôt, Nicolas Jounin, qui tient ses lacets, retrouve enfin des visages amis, sans compter deux à trois cents militants rassemblés vendredi devant le tribunal de Bobigny.”