Hommage à Raymond Gurême

Hommage

 

Hommage à Raymond Gurême

décédé le 24 mai 2020 à l’âge de 95 ans

 

Crédit photo : Claire Pouly Borgeaud Radio France

Raymond Gurême était manouche. Né en 1925, il fut interné au camp de Linas-Montlhéry durant la Seconde Guerre mondiale. Acrobate, il s’en évada, fut repris, s’en évada encore. Enfermé dans un établissement de redressement pour mineurs, il en détourna, au profit du maquis, un camion de ravitaillement, ce qui lui valu d’être déporté dans un camp de travail en Allemagne. Il s’en évada aussi, retourna en France pour rejoindre les rangs de la Résistance.
Il a dix-neuf ans lors de la Libération de Paris. Il a été décoré de la médaille des Arts et des lettres et a passé sa vie à combattre le racisme. En 2014, il a de nouveau été passé à tabac par la police française : pour les voyageurs, les choses n’ont pas beaucoup changé en un siècle.
Raymond Gurême est mort hier.
Repose en paix
(publié le 25 mai par Citoyennes-citoyens contre le FN)


Raymond Gurême, le héros de la résistance, l’inspiration de milliers de jeunes militants pour la justice, vient de nous quitter. Depuis là-haut, telle une étoile, il continuera à guider nos actions pour la justice sociale à laquelle il a aspiré et pour laquelle il a combattu jusqu’à son dernier souffle. Repose en paix Raymond, la relève est là !
Raymond sera toujours parmi nous, dans nos cœurs et dans nos esprits . Sa sagesse et son courage nous guideront !
(publié le 25 mai par Gens du voyage Besançon)

HOMMAGE a Raymond Gurême qui viens de nous quitter cette nuit .
Figure historique de la communauté Tsigane Française , Raymond Gurême était le dernier survivant de la communauté des voyageurs internés au camp de Linas-Montlhéry durant la Seconde Guerre mondiale. Il est rescapé des camps en France puis en Allemagne pendant la 2e Guerre Mondiale.
Il est adolescent quand sa famille, qui exploite un cirque et un cinéma ambulant, est assignée à résidence, puis internée à Linas-Montlhéry dès l’ouverture du camp, le 27 novembre 1940. Il s’en échappe une première fois, avec son frère, en juillet 1941. Ils sont repris et ramenés au camp. Raymond Gurême se sauve une deuxième fois, en octobre 1941. On le retrouve dans une maison de redressement pour mineurs, puis au sein de l’hôpital d’Angers. Il y détourne, au profit du maquis, un camion de ravitaillement, ce qui lui vaut d’être déporté dans un camp de travail en Allemagne, jouxte Francfort. Il s’en évade grâce au chauffeur français d’un train de marchandises qui livre des céréales en Allemagne. S’ensuit, en France, une vie de cavale, avant que Raymond Gurême rejoigne les rangs de la Résistance.
Il a dix-neuf ans lors de la Libération de Paris. Il retrouvera ses parents en 1952 en Belgique, après onze années sans aucune nouvelle d’eux.
(publié le 25 mai par Gens du voyage Besançon)


Fête de la résistance rrom, Saint-Denis, 16 mai 2020 (en présence de Raymond Gurême)

Vidéos publiées sur facebook par La Voix des Rroms

L’esprit de la #RromaniResistance nous a appelés malgré tout sur ce lieu qui a vu arriver les premiers “Égyptiens” aux Portes de Paris. Raymond Gurême est lui aussi, comme toujours, avec nous devant la Basilique de St-Denis. Nous sommes toujours là !


Raymond Gurême, ancien déporté, est décédé ce dimanche 24 mai à l’âge de 95 ans
L’homme était un défenseur de la culture tzigane en Essonne

publié le 26 mai 2020 par Actu.fr
« C’est un inlassable défenseur et voix des tziganes et des Roms qui vient de disparaître ». Par ces mots, Jérôme Guedj, l’ancien président du conseil général de l’Essonne (2011-2015) rend un dernier hommage à Raymond Gurême.
Interné au camp de Linas-Montlhéry

L’homme, considéré comme l’un des derniers survivants du camp dit « d’internement des nomades » qui avait vu le jour en quelques heures à Linas-Montlhéry, en novembre 1940, ce dernier est mort ce dimanche 24 mai à l’âge de 95 ans.

Né au cœur des années 1920 dans une famille française tzigane, Raymond Gurême se destinait à suivre les pas de ses ancêtres dans le cirque familial ambulant. Mais tout bascule au moment des années 1940, quand l’ensemble de sa famille est arrêtée par la police française.

Après quelques jours près de Rouen dans le camp de Darnétal, l’homme finit par atterrir au camp de Linas-Montlhéry. Avec sa famille, ils y connaîtront le froid, la faim ou encore la soif sous l’indifférence de leurs geôliers.

Un des derniers témoins

Parvenu à s’échapper à maintes reprises de camps et de situations périlleuses, il prend ensuite le chemin de la Résistance. Son action dans ses rangs lui permettra d’aider les siens et son pays, la France.

D’ailleurs, il ne reverra ses proches que près de dix ans après le conflit mondial.

Installé à Saint-Germain-lès-Arpajon, l’homme passé une partie de sa vie à transmettre son histoire, comme lors de l’inauguration de la stèle en mémoire de la déportation à Brétigny-sur-Orge en 2011.

Père de quinze enfants, il s’est ainsi éteint ce dimanche 24 mai après une longue vie de lutte pour la culture tzigane.


Raymond Gurême, figure emblématique des Tziganes, s’est éteint

par Nolwenn Cosson, publié par Le Parisien, 26 mai 2020

Il était le dernier survivant de la communauté des voyageurs internés au camp de Linas-Montlhéry durant la Seconde Guerre mondiale. Un symbole pour toute une population. Raymond Gurême, 94 ans, est décédé ce dimanche à l’hôpital d’Arpajon.

Après des années de silence, c’est dans le livre « Interdit aux nomades » publié en 2011 qu’il raconte son histoire et devient dans la foulée une figure emblématique de la communauté tsigane. « J’ai tout à coup eu envie de témoigner pour qu’on n’oublie pas ce que les voyageurs ont fait pour la France », confiait-il en 2012.

Un héros de bande dessinée

Son récit démarre le 4 octobre 1940. Alors âgé de 14 ans, celui qui sillonnait avec ses parents et ses huit frères et sœurs les villages de France avec leur cirque et le cinéma ambulant est arrêté près de Rouen. Toute sa famille est internée pendant un et demi dans un camp situé à Linas-Montlhéry. Acrobate, il s’en échappe à deux reprises. Mais son périple se poursuit. Arrêté pour un premier acte de résistance contre l’occupant nazi, il est transféré dans des camps disciplinaires en Allemagne dont il s’évade à nouveau pour entrer dans la Résistance et participer à la libération de Paris.

« Son histoire est digne d’un héros de bande dessinée. D’un héros tout court. Beaucoup se sont reconnus en lui, dans sa soif de liberté, lâche François Lacroix, membre du collectif pour la commémoration de l’internement des Tsiganes et gens du voyage au camp de Linas-Montlhéry et ami proche de Raymond Gurême. Il a permis de faire resurgir un passé totalement oublié, celui d’un camp essonnien qui a interné 40 familles. »

L’Essonne a marqué sa vie. Il décidera de ne plus quitter le département. Dès qu’il en a eu les moyens, il achète un terrain à Saint-Germain-lès-Arpajon et y installe sa caravane. « De là, il pouvait voir la colline où ses parents ont été internés. C’était tout un symbole pour lui », poursuit François Lacroix.

Raymond Gurême, la voix d’une histoire oubliée

Survivant de ce génocide, ce petit homme d’apparence frêle – il a perdu 20 kg durant son internement qu’il n’a jamais repris -, souvent coiffé d’un chapeau noir, a entrepris plus de 70 ans après les faits un travail acharné de témoignage dans les écoles en France et en Europe.

« La jeune génération ne doit pas oublier pour ne pas subir les atrocités qu’on a vécues, expliquait-il à l’époque. Ce n’était pas la guerre, mais de la barbarie pendant cinq ans, seulement parce qu’on vivait dans des caravanes. J’ai eu le nez cassé, le crâne défoncé à coups de crosse dans le camp de discipline en Allemagne. Mon père a été décoré en 14-18 et, en remerciement, on a été internés en 1940, surveillés par des Français, sur le sol français. »

À chaque fois, son auditoire est captivé. « Même les élèves dont les professeurs disaient qu’ils étaient difficiles restaient silencieux face à son discours, se souvient Tony, un autre ami membre du collectif. À la fin, certains venaient même nous embrasser. Ils étaient émerveillés par ce parcours extraordinaire. Par sa force. C’était un leader, un homme de cœur et très intelligent. »

Des funérailles organisées ce jeudi

En 2012, il reçoit ainsi le titre de Chevalier des arts et des lettres des mains du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand. Et c’est sous son impulsion et celle du collectif, appuyée par le conseil départemental de l’Essonne, qu’ une stèle en hommage aux 40 familles internées voit le jour en gare de Brétigny-sur-Orge. Là où ces Tsiganes ont été débarqués avant de rejoindre à pied le camp de Linas – Montlhéry. Sur la statue, on aperçoit une branche d’arbre qui sort de la pierre avec un homme assis dessus. C’est sur une branche que l’adolescent avait passé toute une nuit pour échapper aux autorités. Un clin d’œil aussi à Raymond Gurême.

Ses funérailles auront lieu ce jeudi à Saint-Germain-lès-Arpajon en présence d’une partie de sa famille. Comme une revanche sur la vie, il a plus de 200 descendants, dont 15 enfants. « Ils ont voulu nous faire disparaître, en quelque sorte je me suis vengé », aimait-il commenter.


Raymond Gurême, l’homme révolté

par Isabelle Ligner, publié sur le blog du Festival de Douarnenez sur Mediapart le 21 août 2013
Raymond Gurême sera présent au Festival, au débat du dimanche 25 août, intitulé « Gens du voyage : une histoire française. Du carnet anthropométrique aux réalités actuelles ».
Une vie de cinéma

Son énergie et son humour vous saisissent au cœur dès le premier abord. A 88 ans, après des décennies de silence, Raymond Gurême raconte avec dignité les souffrances des siens – des forains,des voyageurs, des roulottiers, trop souvent traités comme des moins-que-rien, des voleurs de poule, des “étrangers de l’intérieur”. Sous la gouaille, une révolte intacte, prête à se réveiller à la moindre injustice. Les politiques n’ayant jamais abandonné la technique séculaire du bouc-émissaire, les voyageurs restent les citoyens français les plus discriminés. Quelque 400.000 Français voient leurs droits quotidiennement bafoués. Raymond Gurême est l’un des rares survivants d’une page occultée de l’histoire de France: celle de lʼinternement sur le sol français de familles « nomades », de 1940 à1946. Son combat contre l’intolérance, le rejet et la bêtise reste malheureusement d’actualité.

Autant le dire d’emblée puisqu’il est l’invité du festival de cinéma de Douarnenez: la vie de Raymond Gurême, est du pain béni pour tout scénariste. Raymond a d’ailleurs dans la vraie vie un humour dévastateur, une rapidité d’esprit et un parler fleuri qui auraient fait pâlir Michel Audiard. Pour l’instant, son histoire a déjà été couchée sur les pages d’un livre mais elle serait digne du grand écran.

[…]

Raymond aimerait désormais “continuer la route” pour lutter contre cette “perte de liberté”. A 88 ans, une gâpette sur la tête, un foulard de soie de couleur vive noué autour du cou, il est de tous les combats, de toutes les manifs pour la défense des droits des voyageurs et milite notamment pour l’abolition du statut discriminatoire des gens du voyage. Il vit entouré de ses descendants et de ses chevaux, face au camp. L’octogénaire, qui carbure au café et au tabac brun, est encore capable de bondir sur un cheval et possède une agilité et une énergie déconcertantes. Lorsqu’il ferme la porte de sa caravane, il s’enfonce dans un siège de cuir rouge, roule une cigarette et passe des heures en compagnies de ses chers disparus dont les photos peuplent l’espace. Et chaque nuit, Raymond refait le film de sa vie, espérant une Happy end pour les petites têtes blondes qui viennent souvent taper à la porte de sa caravane pour le seul plaisir de voir leur “petit père”.

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Interdit aux nomades

livre autobiographique de Raymond Gurême, avec Isabelle Ligner

Éditions Calmann-Lévy, 2011

Raymond Gurême est l’un des rares survivants d’une page occultée de l’histoire de France : celle de l’internement es familles « nomades » de 1940 à 1946.

Né dans une caravane, Raymond marche dans les pas de ses ancêtres sur la piste du cirque familial. Tout disparait brutalement lorsque sa famille est enfermée, sur ordre de la police française dans les camps de Darnétal, près de Rouen, puis de Linas-Monthéry, dans l’Essonne. Là, la famille Gurême vit coupée du monde, sans nourriture, sans hygiène, sans chauffage. Mais Raymond réussit à s’en échapper et entre dans la Résistance. Il ne retrouvera les siens que neuf ans plus tard.

Aujourd’hui, ce patriarche d’une famille de 15 enfants et de 150 descendants brise soixante-dix ans de silence pour dénoncer les discriminations toujours vives à l’égard des nomades.

Un témoignage exceptionnel pour comprendre la tragédie des tsiganes de France.

Voir la notice de l’éditeur


Roms, voyageurs, violences policières et devoir de mémoire

par Danièle Madrid, publié le 22 janvier 2015 par Centre avec
Le 23 septembre 2014, Raymond Gurême, 89 ans, ancien résistant et déporté est tabassé sur son terrain par la police française. Cet événement, en sus d’une politique de répression et de stigmatisation des Roms et des voyageurs de la part du gouvernement, va faire remonter en lui le souvenir d’une déportation et d’une persécution douloureuses.
Avant-propos

Que s’est-il passé, le 23 septembre, au numéro 14 du Chemin Saint Michel à Saint-Germain-lès-Arpajon, en Essonne ? Deux versions des faits sont en présence. Raymond Gurême, 89 ans, prétend avoir été frappé brutalement lors d’une descente de police opérée sur le terrain dont il est propriétaire. La commissaire de police d’Arpajon dément toute violence sur la personne de Raymond Gurême. Les explications des deux parties concernant les causes et le déroulement de cette opération de police sont également divergentes.

Une chose cependant est certaine : Raymond Gurême présente, depuis cette date, des traces de coups, des contusions et des vertiges constatés par son médecin traitant. Même si M. Gurême a fait obstruction à l’action de la police, verbalement ou physiquement en barrant le chemin ou l’accès à sa caravane, il était certainement possible de l’écarter sans pour autant rouer de coups un homme pesant moins de 40 kg et âgé de 89 ans.

Dans ce document, vous trouverez une présentation résumée des deux versions des événements du 23 septembre et la chronologie des jours suivants. Viennent ensuite les témoignages de Raymond Gurême et de sa famille. J’ai trouvé utile d’ajouter une notice sur la vie de Raymond Gurême, témoin de l’internement des nomades pendant la deuxième guerre mondiale. En 1940, âgé de quinze ans, il est enfermé dans un camp d’internement de nomades, il s’en évade et rejoint la résistance. En 2004, après de longues années de silence, il prend la parole pour témoigner de l’histoire volontairement oubliée de l’internement des familles tsiganes en France et du génocide projeté par Hitler. Par la suite, il dénoncera aussi la continuation des discriminations subies jusqu’à nos jours par les gens du voyage après la libération ainsi que les menaces qu’il sent planer depuis 2010 sur les Roms et les Voyageurs, ce qu’il appelle « le retour de Vichy ».

Il faut replacer ces événements du 23 septembre dans le cadre du climat de suspicion et de répression développé lors de la réunion tenue à l’Elysée, le 28 juillet 2010, pour faire le point « sur la situation des gens du voyage et des Roms, et les problèmes que posent les comportements de certains ressortissants de ces communautés au regard de l’ordre public et de la sécurité ». Sarkozy y stigmatisa l’ensemble de ces deux populations à partir d’un fait divers et créa l’amalgame entre les Voyageurs (citoyens français), les migrants Roms et la délinquance. Dans le même élan, le discours de Grenoble du 30 juillet 2010 mit au centre de l’actualité le démantèlement des « campements Roms ». Ce démantèlement est toujours fortement médiatisé et il a même pris une ampleur croissante sous la présidence de François Hollande et la gestion de Manuel Valls.

Les évacuations forcées des Roms sont passées de 8.455 en 2011 à 21.537 en 2013. Ce chiffre « représente plus de la totalité de la population habitant en bidonville ou en squat, évaluée à 16.949, en majorité des Roms étrangers. Autrement dit, l’ensemble de la population rom vivant en bidonville et en squat en France aurait été évacuée de force au moins une fois durant l’année 2013. » Nous pouvons dès lors conclure que certains Roms ont subi plusieurs évacuations forcées durant cette année.

La stigmatisation et la criminalisation des Roms et des Voyageurs, martelées sans interruption, malgré l’alternance politique, depuis 2010 dans les discours tenus par les plus hautes autorités de la République, sans oublier ceux de certains maires et élus locaux, déterminent la représentation que les forces de l’ordre se font de ces populations. Ce qui ne manque pas de provoquer un usage disproportionné de la force et de la violence ainsi qu’un sentiment d’impunité chez certains policiers et gendarmes.

Cette rhétorique extrêmement agressive alimente la haine collective de la population, conforte les opinions et les actions racistes allant des attaques verbales aux jets de cocktails Molotov, aux violences physiques et même, le 13 juin 2014, au lynchage d’un mineur Rom dans la région parisienne.

Evénements du 23 septembre et des jours suivants
Version de Raymond Gurême

Selon Raymond Gurême, le mardi 23 septembre, plusieurs dizaines de policiers envahissent son terrain à la recherche d’un jeune des environs… Vers 15h30, un policier pénètre dans sa caravane. Mr. Gurême lui demande s’il possède un mandat de perquisition. Cette question déclenche une volée de coups de matraque, suivie de coups de pieds et de la mise à sac de la caravane. Quatre membres de sa famille tentent de s’interposer entre lui et les policiers. Ils subissent également des violences, sont arrêtés et sont placés en garde à vue pour « outrage et rébellion ». La fouille continue. La violence devient générale. A la fin de l’opération, les policiers lancent des gaz lacrymogènes ; Raymond en reçoit en plein dans les yeux.

Version de la police

Selon un rapport officiel, l’intervention de la police se serait déroulée en deux temps.

Vers 12h50, deux agents en patrouille auraient repéré un membre de la famille Gurême recherché pour vol en bande organisée avec arme dans le cadre d’une information judiciaire. L’homme aurait pris la fuite en direction de son terrain, situé à plusieurs centaines de mètres de celui de Raymond Gurême. Comme le secteur est habité presque exclusivement par des gens du voyage, hostiles à la police, la commissaire décide de réunir un maximum de policiers avant d’intervenir et demande des renforts.

Vers 15h30, selon la commissaire, les policiers investissent les deux « camps » situés aux numéros 14 et 36 du chemin Saint Michel. « Les habitants s’opposaient fermement à notre présence, nous indiquant ne rien avoir à faire chez eux, nous reprochant même de tuer leurs enfants, proférant des menaces de mort et des propos de plus en plus injurieux. Malgré l’état de nervosité des individus, la visite s’opère sans incident jusqu’à la visite de la caravane du patriarche

La commissaire qui se trouve au numéro 36 est alertée par des cris venant du terrain de Raymond Gurême. Elle s’y rend avec d’autres policiers et constate que « les policiers sont victimes de jets de pierre, d’insultes, et de menaces de mort de la part des habitants au nombre d’une trentaine environ ».

Dans leurs procès-verbaux rédigés le jour même, les agents n’évoquent à aucun moment le déroulement de la perquisition chez Raymond Gurême.

Dans son rapport du 29, la commissaire qui n’était pas sur place, mais à plusieurs centaines de mètres, affirme : « à aucun moment cette personne (Raymond Gurême) n’a été victime de violence de la part des policiers intervenants. (…) Alors qu’ils allaient pénétrer dans sa caravane, Raymond Gurême s’interposait et demandait aux policiers de sortir, n’ayant pas de mandat de perquisition. Il était simplement mis de côté par un gardien de la paix qui le prenait par les épaules, afin de permettre aux vérifications de se poursuivre. Toutefois cette intervention dans la caravane du patriarche était très mal perçue par les autres membres de la famille et engendrait des tensions de plus en plus importantes.(…) Quelques minutes plus tard, alors que la situation dégénérait sur le camp et que les policiers procédaient aux interpellations pour outrages et rébellion, Raymond Gurême se tenait en retrait, vers le fond du camp », assure la commissaire qui dit avoir vu « des mamans tenant des enfants dans les bras ainsi qu’une jeune femme enceinte, complètement hystérique, venant au contact des policiers qui tentaient de les repousser, nous insultant et nous jetant des pierres. »

La commissaire conclut dans son rapport qu’il n’y a eu aucune faute commise.

Reconstitution des événements des jours suivants

Le 24 septembre, les deux enfants et les deux petits-enfants de Raymond qui se sont interposés, la veille, entre lui et la police paraissent en comparution immédiate pour « outrage et rébellion ». Ils sont condamnés respectivement à deux mois de prison ferme, quatre mois avec sursis, une amende de près de 600 euros ainsi qu’une amende assortie de 110 heures de travail d’intérêt général pour le dernier. Ils décident tous de faire appel pour le principe, même s’ils savent qu’ils risquent des condamnations plus lourdes. Ils estiment que ce sont les policiers qui ont maltraité une personne âgée qui devraient être pénalisés. Ils arguent que les procédures pour « outrages et rébellion » sont systématiquement appliquées pour les faire taire lorsque les forces de l’ordre ne se comportent pas correctement. Ce même jour, Raymond Gurême qui présente des marques de coups et des contusions multiples, constatées par son médecin, porte plainte auprès de la gendarmerie d’Egly.

Le 29 septembre, suite à des vertiges et à des fortes douleurs cervicales et oculaires, Raymond Gurême retourne chez le docteur qui lui prescrit le port d’une minerve et rédige un nouveau certificat médical constatant des « cervicalgies avec vertige et perte d’équilibre » dont le patient n’avait jamais souffert avant le 23 septembre.

M. Gurême a également entrepris des démarches auprès de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) et du Défenseur des droits.

L’avocat de Mr. Gurême s’étonne que son client n’ait pas encore reçu de réquisition pour un rendez-vous à l’unité de consultations médico-psychologiques d’Evry alors que certains des policiers ayant participé à l’opération du 23 septembre se sont vu immédiatement délivrer un rendez-vous.

Fin septembre, suite à la plainte de Raymond Gurême, le parquet d’Evry ouvre une enquête préliminaire, confiée aux policiers de la cellule de déontologie de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de l’Essonne. Une décision de la procureure est attendue dans un délai de trois mois.

Le 14 octobre, Raymond Gurême est entendu pendant plus de deux heures au commissariat d’Evry dans le cadre de la plainte pour violences policières qu’il a déposée à la gendarmerie d’Egly.

L’officier en charge de l’enquête demande avec insistance à Raymond Gurême s’il maintient ses accusations de coups portés à l’intérieur de sa caravane, alors que la commissaire d’Arpajon assure qu’il n’y a eu aucune violence. M. Gurême confirme ses accusations et exprime son incompréhension devant l’absence de mandat de perquisition alors que la police fouillait des caravanes et des baraques reconnues comme les seuls domiciles de ses enfants, de ses petits-enfants et de lui-même. L’officier explique que la police n’a pas besoin de mandat lorsqu’elle agit « en flagrant délit », sans donner d’autre précision.

A l’issue de cette audition, une réquisition pour un rendez-vous à l’Unité de consultations médicojudiciaires (UCMI) d’Evry est enfin délivrée à M. Gurême. Le rendez-vous est fixé pour le 18 novembre, soit 8 semaines après les faits.

Réactions

La nouvelle du traitement infligé à Raymond Gurême, lors de l’opération de police du 23 septembre, a été rapidement connue. Une page de soutien sur Facebook a été créée le 24 septembre, l’information circule sur internet et le monde associatif se mobilise.

Une telle violence exercée sur une personne presque nonagénaire est particulièrement choquante. De plus la personnalité de Raymond Gurême ajoute une résonance particulière à ces faits.

Depuis 2010, il témoigne inlassablement de la persécution des Tsiganes en France pendant la dernière guerre et des discriminations envers les Voyageurs encore existantes aujourd’hui. Il est bien connu du monde associatif, aussi bien des Voyageurs que des Gadgés (les non-Roms). « Dernièrement, déclare l’artiste gitan, Gabi Jiménez, j’ai été profondément choqué par l’agression policière à l’égard de Raymond Gurême. Ce sujet est en train de mûrir dans ma tête. C’est intolérable. Quand on est fonctionnaire de police, quand on porte les valeurs de la République française, je ne vois pas ce qui peut animer la personne qui frappe un homme de 89 ans. (…) Pour nous, c’est un symbole de courage et de résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Le frapper, c’est aussi grave que si on profanait un monument ».

Une pétition circule pour soutenir Raymond Gurême. Elle réclame notamment une enquête impartiale et approfondie sur les violences policières décrites par Raymond et condamne les discriminations institutionnelles dont les Voyageurs sont victimes. Elle sera adressée au gouvernement de la République Française.

Le 26 septembre, « Dépêches tsiganes » s’est rendu sur le terrain familial pour recueillir le témoignage direct, le plus exhaustif possible, de Raymond Gurême et des membres de sa famille qui étaient présents lors des événements du 23.

Raymond Gurême :

Il était autour de 15h30. Je me reposais dans ma camping. J’ai entendu crier. Je me lève pour voir ce qui se passe. C’est alors que la porte s’ouvre. Un flic entre chez moi, la matraque en l’air. Il avait la trentaine. Je ne l’avais jamais vu sur mon terrain. Il était baraqué, les cheveux blonds coupés en brosse et avait de grandes oreilles. Je n’étais pas très réveillé, c’était comme un cauchemar. Il me repousse vers le fond de la caravane.

Je lui dis « pourquoi tu viens chez moi ? », il me répond pas. Je laisse pas tomber et le questionne encore : « t’as un mandat pour perquisitionner ? », il me dit : « on n’en a pas besoin, on n’est pas en Amérique ici ». Je lui dis : « moi non plus je suis pas en Amérique et ma caravane non plus alors sors de chez moi ». Il a crié « ferme ta gueule ! » plusieurs fois et puis c’est comme s’il avait pété les plombs, il a commencé à me taper dessus avec la matraque, une matraque en fer, télescopique. Ca faisait très mal et puis, comme j’ai que la peau sur les os, ça résonnait comme une grosse caisse.

Il y a un policier plus âgé qui lui a crié « attention, vas-y doucement c’est un vieux ! », mais le jeune flic qui s’acharnait sur moi ne l’a pas écouté et l’autre a paru avoir peur et s’est mis en retrait. J’avais très mal partout mais le pire, c’est quand il a tapé sur l’arrière de l’épaule, presque derrière le cou. Ca m’a comme paralysé. C’est à ce moment là que ça m’a fait repenser… [la voix de Raymond Gurême se brise dans un début de sanglot vite étouffé par un raclement de gorge] … ça m’a fait repenser au trajet de la gare de Brétigny au camp de Linas-Montlhéry [dans l’ancienne Seine-et-Oise, aujourd’hui en Essonne] que des policiers français nous ont forcé à faire à coups de matraque et de crosse quand j’avais 15 ans [le 27 novembre 1940]. J’ai revu le visage de mes parents et de mes frères et soeurs frappés comme moi, sans raison, par la police française. On en a pris tellement de coups ce jour-là ! On les comptait même plus. A la fin tu ne sens plus rien tellement la douleur est forte.

Et ça recommence, 74 ans après, alors que j’ai presque 90 ans, j’ai été frappé sans raison par un policier français. J’ai eu peur qu’il me tue dans ma caravane, cette caravane que j’ai installée face à la colline où nous avons souffert. Ce policier a aussi cassé des objets auxquels je tenais et a tout renversé dans ma camping. J’ai essayé de sortir de la caravane, de m’évader, comme je me suis nachave [« sauvé, enfui » en romanes] du camp. Quand je suis arrivé vers la porte, il m’a pris par le cou et la peau des reins et il m’a jeté du haut de la caravane vers le bas [la caravane de Raymond Gurême est située en hauteur et trois marches servent à y accéder, le terrain familial étant ensuite en pente jusqu’au portail ndlr]. Je partais pour m’écraser le nez par terre mais comme je suis acrobate depuis que je suis petit j’ai donné un coup de rein et j’ai réussi à retomber sur les pieds. Le flic m’a regardé partir en vrille. Comme il a vu que je retombais sur les pieds, il est revenu, il m’a retapé à l’extérieur et après, ils étaient à deux sur moi. J’ai reçu des coups de pieds en plus des coups de matraque.

C’est là que certains de mes enfants ont cherché à me défendre. Mais un tas de policiers leur sont tombés dessus et ne leur ont laissé aucune chance. Ils étaient déchaînés. Moi je me suis mis dans la maison [qui est au centre du terrain et dans laquelle se trouve notamment la cuisine collective et la pièce ou dormait la femme de Raymond avant son décès, en 2011 ndlr]. Les flics ont même fouillé la pièce qui est à la mémoire de Pauline. Ils ne respectent même pas nos morts. Ils ont tapé sur tout le monde, même des femmes, qu’ils ont traitées de « salopes » et « d’ordures ». Avant de partir, comme on était sur le pas de la porte, ils ont commencé à lancer des gaz lacrymogènes. Ils m’en ont mis en pleine figure, pleins les yeux. Je ne pouvais plus respirer. Mais heureusement au moins le vent était avec nous car il leur en a renvoyé aussi.

Quand j’ai pu aller vers le portail, j’ai demandé à une femme policier qui est la supérieure de tout ce monde-là si elle avait vu dans quel état m’avaient mis ses hommes. Je lui ai demandé aussi de les calmer pour qu’ils arrêtent de frapper mes enfants. Elle n’a rien fait et elle m’a dit alors qu’elle n’était pas sur place quand j’ai été tabassé « on ne vous a pas frappé, on vous a juste un peu molesté ». Mes enfants ont été embarqués et condamnés alors qu’ils n’ont fait que me défendre. Ça pour moi c’est inacceptable.

J’ai la couenne dure mais le premier soir j’avais tellement mal partout que je n’ai pas pu enlever mes habits pour dormir et m’allonger. Je suis resté sur une chaise toute la nuit. J’ai encore du mal à bouger plusieurs jours après et surtout à tourner la tête. J’ai aussi les boyaux qui me font mal. Et puis c’est comme si je perdais l’équilibre par moments. J’avais jamais eu ça avant. J’ai été chez mon docteur qui m’a fait un certificat médical.

Je suis allé porter plainte à la gendarmerie d’Egly, où ils ont été très gentils mais ils m’ont demandé de laisser l’original du certificat médical en me disant qu’ils me le ramèneraient. En tout cas je veux porter plainte et que ces policiers soient punis pour ce qu’ils m’ont fait. Il faut que ça cesse. Depuis que j’ai 15 ans, j’ai des képis sur le dos. J’ai presque 90 ans, je voudrais pouvoir vivre tranquillement sur mon terrain et que la police me laisse en paix.

Un des fils de Raymond Gurême :

(Il présente des traces de coups reçus en défendant son père, notamment une blessure proche du cou et une large ecchymose à la cuisse.)

Quand les flics sont arrivés, mon père dormait dans sa camping. Ils étaient nombreux, plusieurs dizaines et nous on dit qu’ils cherchaient un jeune de chez nous, qui a autour de 13 ans, et qui n’habite pas sur ce terrain mais beaucoup plus haut. Ca n’avait donc rien à voir avec nous et encore moins avec mon père. Mais les flics fouillaient tout le secteur. L’un d’entre eux est monté en haut du terrain de mon père, jusqu’à ma camping. Heureusement mes gamines n’étaient pas là mais à l’école. Je lui ai dit : « tu cherches quoi ». Il me dit « ça te regarde pas ». Pour ne pas lui chercher chicane à lui, je suis allé voir un autre flic qui est monté et qui était plus calme.

L’autre est alors redescendu vers la camping de mon père comme un enragé. Fallait pas qu’ils repartent au commissariat sans personne, alors ils ont provoqué pour ne pas repartir bredouille. Ils savaient qu’en s’attaquant au père, on réagirait. J’ai essayé de le défendre mon père. L’un de mes frères est venu avec l’un de mes neveux, puis après une gamine de 18 ans de chez nous mais on a eu tout de suite trois ou quatre flics chacun qui nous ont sauté dessus. On s’est pris des coups, on a été plaqués au sol et puis traînés jusqu’au camion de police. La mère de la jeune a essayé de la défendre mais elle s’est fait embarquer aussi. Ma femme qui est enceinte, ils l’ont tapée aussi et c’est elle qui a dû protéger son ventre. Sinon… On a été placés en garde à vue pour « outrage et rébellion ».

Avant de nous embarquer, les flics ont dit pour nous narguer « ça fait 4-0, quatre pour nous, zéro pour vous ». Ils marchent par but. Ils croient que c’est un match de foot. C’est abuser. Moi j’ai eu bonne conduite quand j’ai fait l’armée, je cherche de chicane à personne mais j’ai déjà trois condamnations pour « outrage et rébellion » à chaque fois c’est ici sur notre terrain et la plupart du temps avec les mêmes flics. C’est pas à Brétigny ou à Paris que je suis supposé « agresser » les policiers. C’est eux qui nous maravent [frapper en romanes ndlr]. Je lui ai dit à la juge parce que dès le mercredi, on nous a fait passer en comparution immédiate.

J’aurais dû reculer l’audience, j’ai pas eu le temps de réfléchir mais je voulais pas aller en cabane. Moi je sais pas bien lire et écrire, mon frère pas du tout et sur nos deux papiers de comparution, il y a des trucs dont on nous a jamais parlé [une mention « ne souhaite pas d’avocat » et ne « souhaite pas consulter le dossier » ajoutée à la main ndlr]. On n’avait pas d’avocat quand l’audience a commencé. C’est mon père qui a été demander un avocat commis d’office. Il a été très bien d’ailleurs. Surtout qu’il y avait un tas de flics en face pour témoigner contre nous. Moi c’est toujours les mêmes noms de flics qui sont à l’origine de mes trois condamnations. Alors elle est où la justice? Mercredi, j’ai été condamné à plus de 100 heures de travail [d’intérêt général] et à des amendes pour les insultes que j’ai lancées aux policiers mais ils nous ont insultés aussi et mon père a été frappé ! Et dans quel état ils l’ont mis ! Comment je vais faire pour payer les amendes alors que j’ai déjà du mal à m’en sortir ? Il va falloir faire quoi ? Voler pour payer tout ça ? Franchement, c’est à ça qu’on veut nous pousser non ?

Je suis très en colère, surtout pour ce qui s’est passé avec mon père. J’ai des insomnies. Je vais faire appel de ma condamnation. « Outrage et rébellion», c’est déjà avec ça que mon père a été envoyé en cabane.

Une des filles de Raymond :

« C’est un flic de 29 ans qui a frappé mon père de 89 ans. Il faut vraiment être une crapule pour taper sur des personnes âgées. A 29 ans, c’est courageux de matraquer un homme de 89 ans ! Quand j’ai trouvé mon père dans cet état, j’ai dit au flic qui l’avait frappé « t’as pas honte ?». Il m’a rigolé en pleine figure. Mon père a été interné, déporté, résistant. Il en a déjà assez vu, la police pourrait peut-être le laisser tranquille non ? Et mes frères, vous croyez que c’est juste qu’ils soient embarqués et condamnés ? N’importe qui se serait énervé de voir traiter son père comme ça ».

Un autre fils de Raymond :

(Intervenu pour défendre son père, il a été placé en garde à vue et condamné pour « outrage et rébellion ».) « Une fois qu’il y aura plus mon père, on va casquer encore plus avec la police. Ça va jamais finir.»

[…]

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Raymond Gurême victime d’un déni de justice ?

par Eugénie Barbezat, publié le 20 janvier 2015 dans L’Humanité
Le 12 janvier dernier, la Justice a signifié à Monsieur Raymond Gurême, résistant, déporté, survivant du “Génocide des Tziganes” le classement sans suite de sa plainte pour violences policières.
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« Raymond Gurême, notre grand-père à tous, a survécu au génocide des Tziganes »

Bal politique de la Fête de l’Insurrection Gitane, Saint-Denis, 15 Mai 2016

Vidéo retransmise sur la chaîne La Voix des Rroms


Résistances tsiganes. Épisode 1 : Raymond Gurême

publié par France culture, le 8 septembre 2018
Face à l’oppression et aux persécutions, les Manouches, Sintès, Kalès, Yéniches, Rroms ou Tsiganes, ont opposé des formes de résistances très diverses. Loin de l’image victimaire que l’on peut avoir de ces communautés, c’est à l’énergie et à la force de leur résistance que puise cette émission dans le portrait de Raymond Gurême, jeune homme de 93 ans.

C’est à l’intérieur de sa caravane, en face du camp où il a été enfermé que Raymond Gurême nous convie, là où sont conservés ses papiers, ses photos, ses objets fétiches. Il veut nous raconter son « histoire pendant la triste guerre de 40 ».

Né dans une famille française manouche, Raymond Gurême s’apprête à suivre les pas de ses ancêtres dans le cirque familial ambulant. Lorsque tout bascule en 1940 : l’ensemble de sa famille est arrêtée par la police française puis enfermée dans les camps de Darnétal, près de Rouen, puis de Linas-Montlhéry, dans l’Essonne. Là, ils souffriront de la faim, de la soif, et du froid – sous l’indifférence générale. Son histoire de résistance rejoint celle des Rroms, Gitans, Manouches… qui se sont insurgés contre la barbarie nazie le 16 mai 1944 au camp de Birkenau.

Devenu le roi de l’évasion, en France puis en Allemagne, Raymond Gurême n’a de cesse de vouloir aider les siens, et son pays, la France. Il entre dans la Résistance, et ne finira par retrouver sa famille que 9 ans plus tard.

Aujourd’hui, il s’est installé en patriarche, avec ses 15 enfants et quelques 200 descendants, juste en face de l’ancien camp : ironie de l’histoire, ou volonté d’en découdre avec les autorités qui, aujourd’hui encore, cherche à le déloger, lui et sa famille ?

Quoi qu’il en soit, Raymond Gurême a décidé de parler, pour témoigner d’abord, pour dénoncer ensuite, pour résister, enfin, aux discriminations toujours vives à l’égard des nomades.

Un documentaire de Claire Pouly Borgeaud, réalisé par Angélique Tibau. Prises de son Mathieu Perrot, Manon Houssein et Bernard Lagnel. Mixage : Archives INA : Marie Chauveau.

Avec Raymond Gurême, voyageur ; Anina Ciuciu, avocate ; Pierre Chopinaud, directeur de La Voix des Rroms ; François Lacroix, fondateur du Collectif pour la Mémoire de l’internement en Essonne ; Mirabella Mile, de La Voix des Rroms ; Lora Yéniche, rappeuse ; Marie-Amélie Ciuciu, soeur d’Anina.

Voir le site de l’émission et écouter le podcast

Ils ont eu la graisse, ils n’auront pas la peau

Film de Jean Baptiste Pellerin, Chapati production, 2013

“Ils ont eu la graisse, ils n’auront pas la peau” dresse le portrait de Raymond Gurême, un homme pour qui j’ai eu un coup de cœur dès notre première rencontre. Ce gitan de 87 ans vit dans un camping-car rempli de ses multiples vies : interné à 15 ans dans les camps avec toute sa famille, plusieurs fois évadé, résistant, père de 15 enfants, il est venu s’installer dans l’Essonne où il vieillit paisiblement, entouré de ses 300 descendants. Conscient de son âge et concerné par la situation actuelle des gens du voyages, Raymond a décidé de faire un livre sur son histoire afin que celle-ci ne se reproduise pas. C’est son éditeur qui m’a demandé de le photographier pour la 4e de couverture de son récit et c’est ainsi qu’il est rentré dans ma vie. À la lecture de son livre “Interdit aux nomades ” je me suis demandé comment cet homme qui avait subi tant de cruauté d’humiliations et de privations pouvait dégager autant d’humilité, de gentillesse et d’ouverture à l’autre. J’ai eu envie de le revoir et je lui ai proposé de filmer nos rencontres. Nos tête à têtes dans sa caravane se sont transformés au fil du temps en balades dans son univers, d’une remise de médaille à un baptême.

Voir le film sur Viméo


Photo de Une : Raymond Gurême, archives personnelles. Extraite de “Résistances tsiganes. Épisode 1 : Raymond Gurême”, France culture, le 8 septembre 2018