Hommage
Hommage à Maurice Rajsfus
décédé le 13 juin 2020 à l’âge de 92 ans
Maurice Rajsfus est décédé le 13 juin 2020, à l’âge de 92 ans. La soirée d’hommage qui lui a été consacrée à la Parole errante à Montreuil le 4 juillet 2020 a rassemblé quelques centaines de personnes, de toutes générations et d’horizons militants très divers. Il était une figure emblématique de la gauche militante, connu en particulier pour son engagement de toute une vie contre les violences policières et contre le racisme. Journaliste, auteur d’une soixantaine de livres, président de Ras l’Front de 1991 à 1999, animateur du bulletin « Que fait la police ? » de 1994 à 2014, Maurice Rajsfus avait constitué des archives en recensant tous les articles de presse relatifs aux violences policières entre 1968 et 2014. En décembre 2019 Libération avait consacré une page à cet extraordinaire travail d’archivage.
Il n’y a pas de meilleur hommage à son œuvre et à ses combats que l’ampleur des manifestations « interdites » organisées en juin par les comités de victimes de violences policières, et la multiplication des révélations sur le racisme policier publiées dans une certaine presse engagée (Streetpress, Mediapart, Bastamag…) depuis le « confinement » qui déchirent le voile de déni opposé par les institutions. Le décès de Maurice Rajsfus survient alors que le combat de toute sa vie acquiert une visibilité et une force de mobilisation jamais égalées en France depuis la guerre d’Algérie et Mai 68.
Il demeure plus que jamais parmi nous.
Saïd Bouamama, sociologue et militant, ami et compagnon de route de la génération suivante, lui rend ici hommage.
Le paria
Au revoir Maurice
Par Saïd Bouamama
Maurice Rajsfus est décédé le 13 juin 2020 en nous laissant en héritage l’exemple d’une vie de combats et d’intransigeance face à l’injustice. Nous ne te verrons plus Maurice rappeler la mémoire des violences policières. Nous n’entendrons plus ta rage devant les mensonges d’Etat concernant l’institution policière des rafles de la période de la collaboration au massacre du 17 octobre 1961 en passant par les violences contemporaines ciblant les noirs, les arabes et les autres habitants des quartiers populaires. Tu ne seras plus présent, pour nous aider, par le simple rappel des faits, à inscrire nos luttes dans leur véritable cadre : celui d’une violence systémique et institutionnelle non réductible à la dénonciation de « bavures individuelles ».
Tu en savais quelque chose, toi qui échappe de justesse en juillet 1942 à la rafle du Vélodrome d’Hiver dans laquelle tu perds tes parents qui ne reviendront jamais de l’horreur. Agé de 14 ans à peine tu n’oublieras jamais que ce sont des policiers français assermentés qui exécutent les ordres d’un Etat « légal » collaborant avec l’occupant nazi. Dix ans à peine après la fin de l’occupation, tu constates le retour de cette violence policière contre les immigrés algériens dont le seul crime est d’exiger l’indépendance de leur pays. Tu seras de tous les combats contre les mesures d’exception, pour la libération des détenus politiques, contre les tortures etc., dès le début de la guerre d’Algérie et pendant toute sa durée.
Je me souviens de notre première rencontre à Roubaix en 1983 lors d’une action contre ce que nous appelions encore improprement les « violences policières ». Ce fut pour tous les participants une de ces rencontres qui marquent durablement les trajectoires. Brusquement ton rappel du passé inscrivait notre lutte dans une généalogie nous faisant bénéficier de l’expérience et des analyses des militants qui nous ont précédés. Eveilleur des consciences, gardien de la mémoire, passeur entre générations militantes, tous ces qualificatifs conviennent mais sont insuffisants pour résumer ton apport à nos existences personnelles et politiques.
Lorsque tu fondes en 1994 « l’Observatoire des libertés publiques » et son bulletin « Que fait la police ? », tu nous donnes les moyens de disposer d’une information sans laquelle le caractère systémique de la violence policière est difficilement appréhensible. Ce travail de fourmi qui dura 20 ans mis à la disposition des militants les informations concernant près de 6000 exactions policières. Cette contribution inestimable faisait du mensuel « Que fait la police ? » une lecture indispensable pour mener nos luttes.
Nous nous sommes retrouvés ensuite d’innombrable fois dans des mobilisations militantes. Je les mélange dans mon souvenir tant tu nous laisse une image de constantes dans les qualités qui te caractérise : ténacité, détermination, argumentations appuyées sur des faits incontestables, disponibilité, attention aux nouvelles générations, soucis de la transmission des luttes et des expériences, etc. Nous rigolions parfois entre nous à ton propos en remarquant que l’âge ne parvenait pas à affaiblir ton engagement pour la justice et l’égalité.
Au revoir Maurice et merci d’avoir existé.
Ce sont des vies comme les tiennes qui allument l’espoir et font tenir les résistances.
Photo de Une : extraite de l’article de Martin Lelièvre : “Maurice Rajsfus : hommage à un éclaireur des violences policières“, Radioparleur, 7 juillet 2020.