exilS pluriels – Fragment 5

5e fragment du texte écrit, lu et interprété par Rachel Cohen (comédienne, metteure en scène, auteure)
en ouverture de la soirée événement Le paria à La Colonie le 13 juin 2017

MOHA LAURENT
exilS pluriels
LE PAYS DE VOTRE LANGUE

Lire l’extrait précédent (fragment 4)

Silence. Moteur. Ça tourne. Scène 2. Le point de rencontre du rendez-vous. Action.

Je vous ai interviewés de 16h à pratiquement minuit…

Moha Laurent, nous nous sommes vus tous les trois le 22 mai 2017. Je vous ai interviewés de 16 heures à pratiquement minuit. Quelle aventure ! Car l’on sait que c’est pendant l’interview que l’histoire s’écrit. Ce jour-là à trois.
Le point de rencontre du rendez-vous que vous avez Laurent et toi Moha est Oran en français. Certaines devantures sont en français encore à Oran. Et le nom des rues.
Laurent tu lis l’arabe, tu décodes, tu transcris.

– Laurent : J’ai un fonctionnement écrit.
– Moha : Il m’apprend les codes blablabla et moi je lui apprends les codes de la cité, de la rue.
« L’université la rue », vous a-t-on dit.

Laurent tu dis : Moha, il voyait des choses que je ne voyais pas.
Moha tu dis : Je vois des choses simples des choses de la vie. La prison m’a beaucoup appris. L’œil aux aguets. L’œil du paria. S’il y a danger. S’il n’y a pas danger. M’adapter à toutes les situations. Laurent, lui, il voit que je ne suis pas d’ici. J’ai la même tête qu’eux. Mais une fois que je me mets à parler, il y a un accent derrière mon arabe d’étranger qui vient d’ailleurs, de France.
Laurent tu dis : Moha, son désir de communiquer en français. L’expulsion l’a coupé de la langue française.
Laurent tu arrives au fastfood et Moha arrive. Moha expulsé au bled – c’est ton expression – expulsé au bled – Moha entend ta voix Laurent en français et te parle en français. La rencontre a lieu à Oran. Sur ta terre Moha, dans ta ville, tu es né à Oran. L’arabe d’Oran tu connais.
Toi Moha, tu deviens le traducteur. Drogman.
Moha tu inventes l’histoire.
Et tu dis : Je vais parler en arabe à un Blanc à Oran ? Un Blanc là-bas ne parle pas l’arabe.
– Laurent : Moha, expulsé, ça me touche parce que ça touche mes convictions politiques. Et le rendez-vous le lendemain que nous avons eu dans un café, c’est là qu’il m’a parlé de son histoire d’expulsion. Ça m’a touché, ça a touché à mes révoltes. Expulsion. Et puis son désir de communication, de raconter son histoire. Sa situation d’exilé. De restrictions des étrangers. Je ne me suis jamais impliqué là-dedans sauf à Saint-Bernard. Et puis identité nationale. Je n’ai jamais été confronté à une personne en détresse qui avait besoin d’aide.

– Moi : Laurent, c’est dans l’arrière pays que ça te touche. Je le sens depuis le début le point de rencontre de votre rendez-vous je dois me taire c’est à vous de dire.
Bien sûr cela me touche aussi. Car dans tout ce que je fais c’est : Qu’est-ce qui anime ? Le corps en jeu. Et depuis que j’écris exilS pluriels la ou plutôt les langues dans exilS. Pluriels.

(à suivre)