4e fragment du texte écrit, lu et interprété par Rachel Cohen (comédienne, metteure en scène, auteure)
en ouverture de la soirée événement Le paria à La Colonie le 13 juin 2017
MOHA LAURENT
exilS pluriels
LE PAYS DE VOTRE LANGUE
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En 2008, la carte de séjour tu n’as pas pu la renouveler puisque tu étais incarcéré. Donc quand tu sors de prison Moha tu n’as pas de papiers. Et tu cherches du travail au noir.
Tremblay-en-France. Maison des Jeunes. Tu travailles avec le sous-directeur. Crêpes, burgers.
Dans le camion ambulant.
Octobre 2008 : Séphora. Ça sent bon et ça sent pas bon. Tu piques des parfums. Pas beaucoup mais trois fois. La troisième fois ça sent carrément mauvais. Garde à vue.
Fin de la garde à vue
Tu es en situation irrégulière
Centre de rétention de Vincennes pour les sans papiers.
Le quarante-cinquième jour, le dernier jour, on te sort, tu crois être dehors… On t’escorte dans un lieu entre rien et rien. Un sac. Et toi.
– Attends.
Une équipe de policiers vient te chercher en fourgon. Direction Orly. Vol pour Alger. Spéciale expulsion pour les étrangers. On t’appelle par ton prénom, on te tutoie. Toi tu ne les connais pas.
– Mohamed c’est bon t’es tranquille on peut aller.
Deux policiers spécialisés en expulsion montent avec toi dans l’avion. L’avion est vide. Et tu vois les Algériens arriver.
– Moha : Devant moi un Algérien costard cravate, la quarantaine. Je suis menotté entre deux flics. Un flic prend ma veste pour cacher mes menottes. Moi, j’enlève la veste pour qu’on voie les menottes. J’avais chaud.
– Et le mec – 35-40 ans – costard cravate, dit : Vous n’avez que ça à faire. L’emmener avec des menottes ?
Une femme prend son portable et commence à filmer.
– La femme : Ça va ?
Moha, je t’entends dire : Ça va ? J’entends ton père te dire quelque chose en arabe et soudain : Ça va ? …
– La femme (aux flics) : Vous avez le droit d’expulser comme ça les Algériens ? (A toi) Et vous, vous êtes en France depuis combien de temps ?
– Moha : 15 ans.
– La femme : Ben bravo Monsieur l’agent.
– Le policier : Si vous ne restez pas calme j’appelle une équipe.
– La femme : Vous me menacez Monsieur ? J’ai le droit de parler à Monsieur. Vous n’allez pas m’interdire…
– Moha : Arrivé à Alger je sors sans menottes.
Alger. Parachuté à Alger. Tu sors où ? Qui voir ? Où aller ? Tu es chez toi pas dans ta ville où tu es né à nouveau après des années exilS pluriels Allemagne France. Étranger en Allemagne en France en Algérie chez toi qui n’est plus chez toi. Retour au pays natal sans cahier tu n’as pas rencontré Aimé Césaire mais tu vas rencontrer Laurent Bazin.
Voyage d’un parcours d’errance. Avec prison. Et aussi force de vie, une force incroyable te met en mouvement.
Moha tu me dis : Le keus tu sais ce que c’est ? Le sac en verlan. Mais tu ne m’as pas demandé comment je suis revenu en France ? Après la rencontre avec Laurent ?
Non Moha je ne te demande pas comment tu es revenu en France après la rencontre avec Laurent. Ni cette date du 12 février 2012. C’est dans le livre que vous êtes en train d’écrire Laurent et toi.
Mais dans toute cette histoire, le service de protection de l’enfance, l’enfant où est-il où est le statut de l’enfant ? Quand est-il en protection ? L’enfant séparé de ses parents …
Toi Moha, de foyer en foyer, de paquetage en paquetage, tu es debout. Il y a de l’autre en toi, tu es en lien avec le monde, tu le fabriques ce lien, La Fabrique de l’Humain comme tu fabriques la pâte à Oran au fastfood quand Laurent ouvre la porte.
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Photo de Une : Le paria et les parias en centre de rétention (Retour au centre de rétention de Vincennes, 14 mai 2017)
Accéder au récit par Moha de son expulsion (Le retour du refoulé. Chapitre 1. Refoulé)