2e fragment du texte écrit, lu et interprété par Rachel Cohen (comédienne, metteure en scène, auteure)
en ouverture de la soirée événement Le paria à La Colonie le 13 juin 2017
MOHA LAURENT
exilS pluriels
LE PAYS DE VOTRE LANGUE
Lire l’extrait précédent (fragment 1)
– Moha : Me dire que les gens vont lire c’est important.
Encore et toujours une façon d’être en lien avec le monde.
– Moha : Mon père quand il s’énervait il parlait en français et moi je ne comprenais pas. Il disait en arabe et puis il rajoutait en français : Ca va ?
Moha tu étais petit tu n’étais pas à Paris tu étais en Algérie. Tu es né en Algérie.
– Moha : J’avais un livre de traduction pour enfants. Moi je ne voulais rien. On m’a emmené en France. Mes parents sont nés en Algérie naturalisés français en 2007.
En 1990 ils arrivent en Allemagne de l’Est juste avec la réunification de l’Allemagne c’est-à-dire la disparition de l’Allemagne de l’Est. Du coup ils arrivent en République Fédérale Allemande vers 1992.
Je suis né en 1983 en Algérie. J’avais huit ans en 1990. Dix ans en 1992.
Nous étions dans des camps de réfugiés, des foyers. Mes parents sont partis d’Algérie pour fuir la misère.
– Laurent : Le terrorisme en Algérie a commencé dans les années 1990.
1988 : chute des prix pétroliers, émeutes à Alger avec répressions. Printemps 1989 : le gouvernement a été obligé de reconnaître les partis d’opposition. 1991 : élection du FIS – parti de masse effrayant. Les généraux ont obligé le président à démissionner. La décennie noire. La guerre civile avec les groupes islamistes.
– Moha : La famille a échappé. L’Allemagne était le pays le plus ouvert pour les papiers.
– Moi : Le projet d’exil était bon ?
– Moha : Oui. Le salaire de mon père en Algérie était très maigre. Ma mère disait à ce moment : Nos enfants auront un avenir.
En Allemagne de l’Est, lorsque nous arrivons, nous sommes dans un foyer en pleine campagne. Un foyer de réfugiés. Avec beaucoup de marocains, de syriens.
A côté, je me souviens : un gouffre d’une profondeur … On voyait rien. Un ravin. Des carcasses. Ça faisait grave peur la nuit. Pas de son. Et le son, le son, les corbeaux. Le son, le son de ces oiseaux obscurs. Le son des motos cross. Les skinheads. On savait. Ils venaient dans le foyer. La suprématie blanche. Nous étions les étrangers. Ils étaient anti-étrangers.
Moi, l’image que j’ai en tête : dans notre chambre, mon père mettait tous les meubles devant la porte. Un jour, une flaque de sang est rentrée en-dessous de la porte dans notre chambre.
J’avais huit-neuf ans. C’était signé : skinheads.
Je me promenais dans un jardin avec mon père j’avais neuf ans et demi, dix ans. Nous, on marche comme ça. Arrive une vieille femme. Je dis : Bonjour Madame.
Elle me répond : Raus ausländer ! Dehors les étrangers !
Avec une haine, un visage de haine.
J’ai dit : Qu’est-ce que j’ai dit de mal ?
Elle était expulsée en Afrique en voyant ma tête.
Je regardais mon père d’en bas. Je parlais l’allemand et je m’amusais à faire le traducteur. Mon père avait compris. Moi j’ai dit à mon père : Pourquoi elle m’a dit ça ?
Puis on est allé de foyers en foyers.
Faire et défaire le paquetage.
Je te regarde Moha. Je te dis : Le paquetage ? Drôle de mot ? Les marins emploient ce mot « paquetage ». En prison aussi.
Moha, tu dis : Quand je changeais de cellule, on disait : Bridji, le paquetage.
Dans un drap je mettais tout dedans. Un nœud. Deux nœuds. Je suivais le surveillant.
Le toto tu sais ce que c’est ? La résistance. Et l’eau dans la cannette avec la brique de lait. Pour faire une plaque chauffante quand tu n’as rien, tu prends …
Et nous rions tous les trois des débrouilles de prison.
Photo de Une. “Le nouveau centre pour demandeurs d’asile d’Hoyerswerda, en janvier 2014. Cette ancienne école accueille 70 réfugiés sans papiers (Photo Arno Burgi. AFP), extraite de l’article de Libération, 16 avril 2014, “Hoyerswerda, foyer de la honte”.
En 1991, sous les vivats de la population, une bande de néonazis chassait les immigrés de cette ville sinistrée de l’ex-RDA. Un nouveau centre de demandeurs d’asile vient d’y ouvrir. Mais les crânes rasés rôdent toujours. (lire l’article)