Par Mathieu Dejean, article paru dans Les Inrocks le 30 septembre 2019
Par la voie de la fiction, David Dufresne rend compte du soulèvement des Gilets jaunes depuis novembre 2018 et de la dérive autoritaire du maintien de l’ordre. Un roman très politique, qui donne de grandes claques de réalité.La sidération et la colère ont conduit Etienne Dardel, le personnage principal de Dernière sommation (qui sort ce 2 octobre aux éditions Grasset), à endosser une mission, un jour d’émeute de décembre 2018 où les Gilets jaunes avaient pris possession de la place de l’Étoile, ce “premier sens giratoire de France”. Celle de rendre visibles les violences policières, d’alerter sur les dérives illégales du maintien de l’ordre et d’empêcher le déni politique à ce sujet.Ce jour-là, il a eu beau zapper sur les chaînes d’info en continu, aucune image des manifestants blessés ne filtrait. De toute évidence, la télévision avait choisi son côté de la barricade. Alors, Étienne Dardel, vétéran d’internet, a allumé son ordinateur et a commencé à montrer le contrechamp inavouable du maintien de l’ordre sur Twitter : mains arrachées, joues trouées, personnes éborgnées… Le tout en interpellant à chaque fois le ministère de l’Intérieur : “Allô @Place_Beauvau, c’est pour un signalement…”“Le monde avait bien basculé”
Etienne Dardel est la parfaite réplique de David Dufresne, qui signe là un premier roman imbibé de réalité. Né en 1968, nourri à l’idéologie punk-rock, journaliste successivement à Actuel, Libération et Mediapart, exilé au Canada pendant plusieurs années, Dardel est surpris à son retour par l’endurcissement de la répression et l’enférocement des forces de l’ordre : “Le monde avait bien basculé : ce qui n’était qu’un mythe de sa jeunesse, les snuff movies, était devenu une réalité, sa réalité, son quotidien : le trépas live, les gueules cassées en direct, les mutilés sous ses yeux”.
Ce monde qui a basculé, c’est le nôtre – la science-fiction est malheureusement bien loin, en dépit du climat dystopique qui plane sur ces pages. (lire la suite)
Allo Place Beauvau, c’est pour un signalement : le site de David Dufresne
Le projet a remporté le Grand Prix du Journalisme 2019.
Tout est parti d’un coup, sans trop réfléchir, une réaction à l’inaction (globale) des médias (globaux). Tout est parti sur Twitter, là d’où tout part.Répertorier les vidéos (et quelques témoignages) de manifestants blessés, certains mutilés à vie, des traces de manquements graves (parfois possibles, souvent avérés) à la doctrine légale du maintien de l’ordre dit à la française : l’« absolue nécessité » et la « proportionnalité de l’usage de la force »
Jour après jour, la compilation grossit, elle est disponible ici : allo @Place_Beauvau – c’est pour un signalement – from:davduf
Depuis le 25 janvier 2019, Mediapart héberge une data-visualisation complète et interactive de tous ces signalements.
Une réalisation avec le studio Etamin, Visionscarto et Maxime Zoffoli.
En quelques heures, une dizaine de personnes, des inconnus, des gens que je ne connais pas, m’aident spontanément. Dans la mesure de mes moyens, je contextualise quand c’est possible. Un ami ressurgit après dix ans perdu de vue : il écrit un script pour sauvegarder toutes ces vidéos en lieu sûr. Etc.
Le but ? Simple : saisir, publiquement, le Ministère de l’intérieur pour qu’il saisisse à son tour la Police des polices. Et que la Justice fasse son travail. Et la presse. Et chacun.
En quelques semaines, Allo Place Beauvau a été cité dans plusieurs rapports d’organismes internationaux comme le Parlement Européen, le Conseil de l’Europe ou l’ONU.
L’histoire complète du projet est disponible ici