Entretien. Défenseur des droits depuis 2014, Jacques Toubon suit de près le traitement réservé aux migrants durant les premiers mois de leur séjour en France. Un sujet que l’ex-garde des sceaux trouve symptomatique du sort que l’Etat réserve aux plus fragiles. A ses yeux, la loi asile et immigration va réduire les droits des demandeurs d’asile.
– Présenté en conseil des ministres, le projet de loi asile et immigration sera discuté en avril à l’Assemblée. Une nouvelle loi était-elle selon vous nécessaire ?
– Ce sera le 20e texte, au moins, depuis la fin des années 1970. La loi du 29 juillet 2015 réformait l’asile, celle du 7 mars 2016 le séjour des étrangers. Et comme le Conseil d’Etat le relève dans son avis sur le projet de loi, une partie des articles de ces deux textes n’était même pas encore mise en œuvre.
Nous devons la vérité au pays : la situation n’appelle pas de loi nouvelle. Le solde migratoire reste le même depuis des années, comme le montrent les données de l’INED (Institut national d’études démographiques) et de l’Insee. Le nombre d’entrées et de sorties varie légèrement d’une année sur l’autre, mais ne s’apparente en rien à une “crise” qui nécessiterait de légiférer rapidement. Ce qu m’oblige à conclure que ce texte n’a pas été par un besoin de la société mais pour répondre à l’opinion publique, qui veut sans cesse alimenter de carburant législatif ou règlementaire la chaudière de l’exaspération.
– L’argumentaire de la loi établit pourtant qu’elle était nécessaire parce que la France connaît, depuis 2015, les conséquences d’une crise migratoire…
– C’est bien la preuve que nous sommes dans un cercle d’irrationalité. Les politiques élaborent des textes dont la motivation première est de se rapprocher de la demande de l’opinion publique et non pour répondre à un besoin de terrain. Nous nous retrouvons face à des textes de loi qui ne correspondent pas à la réalité.
– Qu’entendez-vous par “irrationalité” ?
– Cette politique n’est pas menée pour changer le réel. […] Ce qui m’intéresse, moi, Défenseur des droits, c’est que la manière dont les plus fragiles sont traités soit conforme aux droits fondamentaux, qu’on reconnaisse leurs droits humains universels. Et pour y parvenir, il faut engager une politique de terrain, sereine et délibérée, qui ne nécessite pas de nouveaux outils légaux.
– La future loi n’est-elle dont pas adaptée à la situation que connaît la France aujourd’hui ?
– […] Si on veut mettre les moyens sur l’accueil, on a besoin seulement de crédits supplémentaires. […] Il s’agit d’organiser les parcours migratoires et cela exige, avec courage, de reconnaître la réalité de la migration. Cela signifie qu’il faut arrêter de faire croire qu’on est capable de “maîtriser les flux migratoires”, comme on le dit depuis 1974, pour s’atteler au vrai sujet : construire une politique publique qui organise les parcours migratoires.
– Mais l’argumentaire du ministère de l’Intérieur, qui estime que favoriser l’accueil ferait monter le Front national, ne vous convainc-t-il pas ?
– Je connais cet argument de longue date. Je réponds : faisons 8 ou 10 centres de premier accueil comme ceux de La Chapelle, au Nord de Paris, ou Ivry, nous risquons d’être surpris de voir combien cela fait déjà baisser la pression. Je répète depuis plus de trente ans que ce n’est pas en s’alignant sur les thèmes du Front national qu’on va faire reculer ses votes. La vraie réponse est rationnelle et effective. Il faut parvenir à ce que le discours sur l’indentité soit de nouveau supplanté par le discours sur l’égalité. […]
– Quelle lecture faites-vous des mesures contenues dans le projet de loi ?
– Globalement, une courte partie du projet de loi propose une extension de droits pour quelques catégories de migrants. ce sont des mesures que nous avons préconisées et que nous soutenons, qu’il s’agisse de l’extension de durée des titres de séjour pour les titulaires d’une protection subsidiaire ou de la sécurisation du séjour pour les victimes de violences familiales et les parents d’enfants réfugiés, ainsi que des cartes dédiées pour les étudiants.
– Estimez-vous que le demandeur d’asile ressort gagnant de ce texte censé mieux le protéger ?
– Contrairement au discours qui veut que tout soit fait en faveur du demandeur d’asile, il est en fait maltraité par ce projet. Il s’y retrouve pris dans des procédures tellement accélérées qu’elles confinent à l’expéditif. On va lui imposer des délais impossibles à tenir […] On cherche manifestement à donner une préférence plutôt qu’à la prise en compte du contradictoire et des droits fondamentaux. Or rester accroché à l’ensemble des droits humains n’est pas discutable. Je suis chargé d’en demander le respect.
De plus, pour faciliter l’éloignement, on va désormais pouvoir placer en rétention administrative des personnes qui sont en situation régulière et ne font pas l’objet de mesures d’expulsion, ce qui porte atteinte à la liberté d’aller et venir. […] (accéder à l’intégralité de l’article)
Défenseur des droits : le demandeur d’asile maltraité par le projet de loi
Pour Jacques Toubon, « le demandeur d’asile est mal traité » par le projet de loi sur l’immigration.
Le Monde, 22 février 2018