Analyses, réflexions, témoignages
6T de banlieue confinées
Les exactions policières se poursuivent
Par Moha
Les policiers profitent de l’état d’urgence sanitaire et de l’épidémie pour frapper, agresser, humilier les gens qui habitent dans les quartiers populaires, les 6T de banlieue.
Hier par exemple, dans mon quartier du Blanc-Mesnil, un mec était menotté au sol en plein milieu de la rue. Autour de lui, vingt policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) du 93. L’un d’eux, cagoulé, faisait le guetteur en surveillant les environs pour couvrir ses collègues. Je n’ose pas imaginer ce qui s’était passé avant qu’il se retrouve au sol : l’interpellation commence toujours debout, et ça se termine à terre avec des hématomes sur tout le corps. D’habitude quand ça se produit, un attroupement se forme autour des policiers. Les gens leur crient d’arrêter, ils filment. Mais quand les rues sont désertes, les mecs n’ont personne pour les défendre.
Les vidéos de violences policières, filmées depuis les fenêtres, continuent de circuler tous les jours sur les réseaux sociaux depuis le confinement. J’ai réalisé un montage de quelques-unes des vidéos qui circulent sur twitter. Il peut être visionné sur la chaîne Youtube Le paria (voir aussi en fin de page).
Sur une de ces vidéos à Asnières (vidéo 1), un jeune type se fait contrôler par trois keufs. Au moment où il sort son attestation pour la montrer, un des trois policiers lui lance par surprise un violent coup de pied, en visant les testicules. Juste avant, on voit le flic tourner la tête pour voir derrière lui deux collègues arriver en renfort : ils sont cinq. Et bim ! Le coup de pied en traitre dans les burnes. Pourquoi ?!
Celui qui filme s’insurge : il crie aux policiers qu’ils ont été filmés. Les condés s’éloignent en laissant derrière eux le mec plié en deux de douleur : ils n’ont même pas pris la peine de regarder l’attestation qu’il leur tendait.
Une autre vidéo à Orly (vidéo 2) montre un jeune à terre, roué de coups de poings et de matraques par trois flics penchés au dessus de lui. Trois autres policiers accourent pour participer à la bastonnade.
A Aubervilliers (vidéo 3), une jeune femme de 19 ans, un caddy de course à côté d’elle, est contrôlée par une dizaine de brutes en uniforme. Un keuf lui donne un coup de taser dans la poitrine. On l’entend hurler. Un second la fait basculer violemment sur le trottoir, un troisième lui appuie sur la nuque pour l’empêcher de se relever, le premier pose un genou sur son dos et lui tord les bras en arrière. Actu.fr a publié son témoignage.
Une autre encore (vidéo 4) : deux motards s’approchent de trois jeunes dans la rue. Ils en ciblent un : une moto lui coupe la route par devant, et l’autre par derrière. Ses potes s’écartent. Technique de chasse des loups : ils isolent une proie pour l’attaquer. Le motard devant lui accélère et le heurte avec sa moto. Il tombe. Le keuf laisse sa bécane au sol, enjambe le mec à terre, se jette sur son pote et le frappe à la poitrine. Le mec bousculé s’enfuit ainsi que le troisième resté en arrière. Les baqueux les poursuivent. Fin de la vidéo.
Une autre scène filmée (vidéo 5). Dans une cité, un jeune gars sortait de chez lui pour acheter du pain. Il est arrêté par deux keufs. Un troisième rôde à l’écart. Les deux flics le retournent et le palpent. Puis ils le saisissent chacun par un bras et l’emmènent à l’écart, dans un hall d’immeuble. Le troisième flic les rejoint. Abrités par le hall d’immeuble, ils sortent du champ, on ne voit plus ce qui se passe. Mais une autre vidéo (vidéo 6) filme sous un autre angle le hall de l’immeuble : le mec est à terre, les trois condés le frappent à coup de poing et de matraque. Malgré la distance, on entend ses hurlements de douleur. Yassine (c’est son prénom) a tourné une vidéo pour expliquer ce qui s’est passé (vidéo 7).
On envoie les flics verbaliser les contrevenants à la consigne de confinement. Certains n’ont pas d’attestation sur eux, parce que tout simplement ils n’ont pas internet, pas d’ordi, ou pas d’imprimante. D’autres ne savent ni lire ni écrire le français. Certains sortent malgré les consignes de confinement, parce que l’appartement où ils vivent est surpeuplé, et que ce n’est pas tenable de rester enfermé tout le temps.
Mais même quand les personnes ont leur attestation sur elles, elles se font verbaliser. Ou pire, les keufs leur rentrent dedans et leur assènent des coups.
Distanciation sociale : j’ai cherché la définition. Il y en a deux. Une définition sociologique : « Écart, refus de relation existant entre différentes classes sociales » (source : Centre national de ressources textuelles et lexicales). La deuxième est celle des consignes de confinement : se tenir à distance des autres pour éviter la propagation de l’épidémie.
Le premier ministre et sa clique disent en boucle qu’on est irresponsables et que les gens ne respectent pas les règles de sécurité. Même chose pour les médias qui montrent du doigt les quartiers populaires. Le Parisien du 19 mars 2020 : « 10 % des amendes dressées dans le pays mercredi l’ont été en Seine-Saint-Denis. Face à l’indiscipline, police et justice sévissent. Des CRS ont été appelés en renfort. La préfecture prépare un nouvel arrêté, encore plus contraignant. » Nouvelle manière de répéter encore et toujours les mêmes clichés sur les 6T de banlieue. Ils désignent aux forces de l’ordre leurs cibles.
La police patrouille dans les banlieues pour faire respecter les règles, soi-disant. Mais la police, dans les quartiers, n’a jamais respecté aucune règle. Les keufs ne portent pas de masque, ils ne respectent pas les distances de sécurité, ils sont en groupes, ils ont des centaines de contacts par jour. Et ils vont au contact : ils cognent. Penchés à plusieurs sur un mec à terre pour une ratonnade dans les rues désertes, ils le contaminent s’ils sont eux-mêmes infectés. Infectés et infects.
Les patrouilles des forces de sécurité font régner depuis longtemps l’insécurité dans les quartiers. Les familles qui réclament vérité et justice pour leurs fils et leur frères morts étouffés, battus ou exécutés par des policiers (comme Wissam El-Yamni, Lamine Dieng, Adama Traoré et beaucoup d’autres), ou violés comme Théo, le savent. Ça s’est aggravé avec l’état d’urgence. Ça s’aggrave encore avec l’état d’urgence sanitaire : le danger de contamination s’ajoute à toutes les menaces que les condés représentent en temps ordinaire.
Qu’est-ce que les keufs tabasseurs ont compris du mot « distanciation sociale » ? Pas la définition sanitaire. La définition sociologique : la domination, le mépris, le racisme, le rabaissement.
1348 verbalisations en Seine-Saint-Denis les trois premiers jours du confinement. 22 574 dans tout le pays rien que le dimanche 22 mars. En six jours de confinement, 91 824 amendes distribuées surtout dans les banlieues et les quartiers populaires, accompagnées d’exactions des forces de l’ordre. 91 824 amendes à 135 € : 12 396 240 € [voir le site de Nantes révoltée]. Le 28 mars on compte 225 000 verbalisations. Le « conseil populaire de la santé publique » fait le calcul : 30 375 000 €. En réalité bien plus car les tarifs ont augmenté.
Le 23 mars, le gouvernement a décrété l’aggravation des sanctions pour « violation » des mesures de confinement : c’est désormais 750 € pour un premier PV, 1 500 € pour une deuxième verbalisation en moins de quinze jours, 3 750 € et six mois de prison pour le troisième dans un délai de 30 jours.
Les insultes, les baffes, les coups, les matraques, les tabassages : tout ça c’est du bonus.
Peines de prison, vraiment ? Le gouvernement n’a honte de rien. Les prisons françaises sont déjà un scandale en temps ordinaire. Avec l’épidémie la situation est devenue explosive : des mutineries éclatent dans presque toutes les prisons en France. On a vu ce qui s’est passé dans les prisons italiennes : une dizaine de morts, beaucoup de blessés et plus de 50 évasions. Le 26 mars, la ministre de l'(in)justice disait sur France inter que « Dix détenus ont été testés positifs, et 450 sont symptomatiques ». Dans les prisons, il n’y a personne aux fenêtres pour filmer les exactions des gardiens, des ERIS (Equipes régionales d’intervention et de sécurité) et autres Robocops.
Pendant que les bourgeois sont partis à la campagne se confiner dans leur résidence secondaire, ce sont les plus pauvres qui payent, comme d’habitude : amendes astronomiques, tabassages, coups de matraques, garde-à-vue, prison… Et risque de contamination.
Ce gouvernement est incapable de fournir des masques efficaces aux soignant.e.s, aux pompiers, au personnel des EHPAD. Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, le gouvernement a stocké massivement des LBD 40, grenades lacrymogènes, grenades de désencerclement et autres armes de guerre pour réprimer le peuple. Mais pour ce qui est des masques : que dalle. Alors, qui nous protège de la police ? Qui nous protège de l’épidémie ? Certainement pas le gouvernement, et certainement pas la justice.
Pas de justice, pas de paix
On n’oublie pas, on ne pardonne pas
* * *
Montage vidéo Le paria — 6T de banlieue confinées : les exactions policières se poursuivent
Réalisé par Moha à partir des vidéos citées dans cet article