Confinés, mais pas cons finis !

Analyses, réflexions

 

Confinés mais pas cons finis !

par Dulcinea GT

 

On a tous accepté de se priver volontairement de nos libertés les plus élémentaires (liberté de circulation et de réunion, voire d’expression), de nous enfermer chez nous, pour une durée indéterminée, et d’accepter la mise en place d’un pouvoir militaire en période de vacances du pouvoir local, convaincus par des informations anxiogènes et univoques (mais peu sourcées et critiquées) que c’était la seule solution. On a accepté d’imprimer et remplir nos propres autorisations de circulation et de les présenter aux nombreux représentants des forces de l’ordre qui parcourent nos rues, de nous limiter à une heure de sortie solitaire et sportive par jour (donc pour beaucoup moins). On a accepté de ne plus rencontrer nos familles et nos amis.

Même pendant les guerres, jamais cela n’avait été demandé, nulle part ! Probablement parce que cela n’aurait pas été obtenu…

Alors pourquoi aujourd’hui acceptons-nous massivement et collectivement de nous priver totalement et durablement de nos libertés fondamentales ?

Coronavirus : revue de presse commentée (Observatoire du journalisme, 19 mars 2020)

– Par peur de la maladie et de la mort, la nôtre ou plus souvent celles de proches ? Une peur savamment créée, orchestrée et amplifiée par des médias qui utilisent des statistiques à des fins pathogènes…

– Donc par manque d’esprit critique ? Ou par peur de l’illégitimité de cet esprit critique face à la chasse aux sorcières/fake news… On ne peut plus douter à voix haute aujourd’hui sans se faire traiter de complotiste, déshonneur ultime… Et même Trump sait bien jouer de cette arme du complotisme pour museler… tout le monde !

– Par peur de la police et de la loi, des amendes et des policiers ? Habituellement, cela n’arrête pas grand monde ! 135 euros n’empêchent pas les excès de vitesse… Alors ? La plus grande visibilité des forces de l’ordre attise la peur… Oui, peut-être… Un peu… Mais je n’y crois guère !
Ou alors, préparée par la rhétorique militaire largement déployée par le gouvernement, cela ravive des mémoires traumatiques plus anciennes et bien enfouies, de temps où on avait vraiment et légitimement peur des forces de l’ordre qui pouvaient vous fusiller au petit jour… Cette peur qui, moi, me mettait déjà mal à l’aise avant, quand je voyais un soldat fusil au poing sur la place de ma ville. Nous avons tous dans nos mémoires héritées celle de la seconde guerre mondiale et souvent aussi, la mémoire de dictatures subies et fuies en Espagne, au Maghreb, en Pologne ou ailleurs, où ne pas respecter le couvre-feu représentait un risque réel.

– Par culture de l’obéissance et de la soumission ? Depuis Stanley Milgram et les apports des études sur l’impact des violences éducatives ordinaires, on sait que la culture occidentale vise à nous apprendre à nous soumettre, à obéir aux ordres d’une autorité jugée légitime et ce, même au mépris de la morale et de l’esprit critique, jusqu’aux génocides. Or quelle autorité peut être plus légitime que celle de tous les gouvernements réunis ? Face à une telle unanimité, comment ne pas obéir ? Forcément, ils savent et même s’ils ne nous disent pas tout, c’est forcément pour notre bien. Non ? Cette attitude me rappelle le fait que l’immense majorité des Français n’ont pas résisté pendant la seconde guerre mondiale, ils ont obéi et attendu que cela passe.

– Par solidarité envers les personnes fragiles et les soignants ? L’argument moral ultime, celui dont on ne peut s’affranchir… Parce que nous avons tous des proches qui rentrent dans l’une ou l’autre des catégories et la solidarité, l’empathie, c’est ce qui fait de nous des humains. Et c’est beau et juste…

Mais cela ne doit pas faire oublier que, dans d’autres pays où le système de santé est encore efficace et où les mesures ont été prises à temps (commandes massives de masques et de tests, notamment), on a pu faire le choix de laisser l’immunité collective se faire « normalement », sans demander aux citoyens de s’enfermer et se séparer, parce qu’on savait que le système de santé pourrait faire face à un pic de contagion (Corée du Sud, Taiwan, Pays-Bas, Suède).

Donc, finalement, c’est avec la politique de démantèlement du système de santé (5000 lits de réanimation pour 67 millions de Français !), de sous-estimation des risques et plus fondamentalement de marchandisation des biens communs, menées par les gouvernements successifs que nous sommes solidaires. C’est d’eux que nous prenons soin et de leur crédibilité alors que c’est à cause de leurs choix critiquables que nous sommes enfermés.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas respecter le confinement, je dis qu’il faut dès maintenant être conscient de cette grande manipulation et trouver dès maintenant des façons de montrer notre désaccord. Isolément mais en même temps : confinés mais pas cons finis ! La liberté d’expression demeure, seules les manifestations collectives publiques sont interdites alors inventons des formes adaptées de contestation, sur les réseaux sociaux, dans nos vêtements lors de nos sorties, à nos fenêtres… Si possible avec humour !

Je dis que nous avons le droit, et même le devoir, d’exprimer notre colère d’être mis dans l’obligation morale de nous priver de libertés et de nous exposer aux conséquences d’un isolement prolongé pour minimiser les conséquences de choix économiques inadaptés.

Et puis, et puis… Il y aura les enseignements de ce confinement :

– Six semaines en ne voyant pas plus de quatre ou cinq personnes, et en les touchant très peu, quelles conséquences cela peut-il avoir sur le psychisme ? On sait depuis Bowlby combien le contact est capital pour l’image de soi et les capacités d’attachement des bébés mais, à ma connaissance, on ne sait rien de son importance pour des adultes. Or, jamais une population n’a été aussi massivement et durablement coupée de ses congénères, isolée, comme sur une île déserte. Robinson, sur son île, a frôlé la folie mais combien de célibataires confinés lui ressemblent aujourd’hui ?

Quel impact pour des enfants habitués à jouer en groupe de ne pas pouvoir le faire pendant six semaines ? Et pour des adolescents pour lesquels les interactions sont l’essentiel de leur vie, la seule raison de se lever ? Je suis hypersensible, comme une personne sur quatre, et au bout de deux semaines de ce régime, je ne me sens pas bien du tout… Bien pire que jamais alors que je sais me protéger et me détendre… Qu’en sera-t-il quand on aura triplé la dose ?

A l’ère du tout écran, quels enseignements ? J’ai fait des apéros skype, j’ai fait des visiocours : cela m’a fait du bien… Mais bien moins que d’avoir les gens en vrai et en entier en face de moi… Qui se charge de documenter ceci ? Et quelles conclusions en tirerons-nous ? Au Moyen Age, on confinait à l’intérieur des murailles mais les gens circulaient librement dans la ville, l’isolement était donc bien moindre… A l’époque des Hikikomori, où l’on imagine à travers de multiples séries de vivre chacun chez soi derrière des écrans, ce confinement n’est-il pas un test grandeur nature ? Il est de notre devoir de nous demander si cela nous convient, si c’est ce futur que nous voulons… Et de clamer notre rejet !

– Six semaines en famille nucléaire, six semaines à temps plein seul avec soi-même, son conjoint, ses enfants… Six semaines à s’écouter et se supporter, souvent en appartement… Il y aura surement bon nombre de dépressions…
A tel point que cela posera la question de la pertinence de ce modèle de la famille nucléaire et de la vie en ville… Là aussi, peut-être faudra-t-il inventer d’autres formes de vie en groupe pour que le prochain confinement soit plus vivable : que faudrait-il d’ailleurs pour que ce soit vivable ? Autant y réfléchir très vite, tout de suite.

– et enfin, la démonstration que gouvernements et médias peuvent manœuvrer pour faire accepter et respecter des mesures extraordinairement contraignantes et liberticides… Pourtant, ils n’ont pas jugé utile de le faire pour lutter contre le dérèglement climatique, qui fera beaucoup plus de morts dans le demi-siècle qui vient ! Les idées existent pourtant, je me souviens du roman de Marie-Monique Robin où elle imaginait un gouvernement courageux qui prendrait les mesures nécessaires pour rester en dessous des 2°. Même Nicolas Hulot a échoué… Et pourtant, c’était possible et même facile, en fait ! Il a fallu à peine un mois pour convaincre la société française de l’impérieuse nécessité de se cloîtrer !

Par contre, maintenant, ils savent comment faire et ils savent que c’est possible, que nous acceptons…

Souvent, j’ai l’impression de vivre une mauvaise série d’anticipation ces dernières semaines… Et la colère le partage à la peur, mais pas celle du virus. Naomi Klein, dans la Stratégie du choc, a alerté il y a déjà longtemps sur la récupération des traumatismes de l’opinion publique par les gouvernements afin de faire passer des mesures contraignantes, notamment économiques. Mais, jusqu’à présent, cette stratégie n’était utilisée que par des gouvernements isolés ; là, elle pourrait l’être à l’échelle mondiale. Pour le meilleur, mais ce serait une première… Ou pour le pire.

Il nous faudra être extraordinairement vigilants individuellement et collectivement à la sortie du confinement, extraordinairement mobilisés…
Et pourtant, nous rêvons déjà à bien autre chose pour nos mois d’été surtout après deux mois confinés. Le contexte est parfait pour un durcissement mondial sans commune mesure des politiques néo-libérales.

J’ai peur… Mais pas du virus !

Construisons dès maintenant les structures et les moyens de pression ou de résistance à ce qui pourra bien suivre… Après tout, on savait déjà que les moyens traditionnels de revendication ne fonctionnaient plus, profitons de notre temps libre imposé pour inventer et tester de nouveaux moyens de résistance et revendications, libérons notre créativité dans une direction qui nous soit durablement favorable, individuellement et collectivement. Réunissons-nous pour des brainstormings géants et choisissons ensemble dès maintenant le monde d’après que nous voulons et inventons les façons de l’imposer.

Une campagne ou un hashtag #éteinstatéléàl’heuredeBFMInfo ?
Une déco FB « confiné mais pas con fini » ?
Des affichages à nos fenêtres de drap avec le même slogan, ou un autre, qui dira « on obéit mais on est pas soumis » ?

Des distributions de tracts en boite aux lettres dans un rayon d’un kilomètre qui diffuseront des informations simples mais fiables ou des liens vers des chaines ?
Investir les réseaux sociaux pour diffuser de l’info citoyenne de qualité, et des fictions positives de qualité ?

Profiter de ce temps de rapprochement pour essayer d’accrocher nos proches qui, jusqu’à présent, étaient loin de ces préoccupations mais n’ont rien d’autre à faire et doivent aussi en gérer les conséquences ?

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Photo de Une : © RNST — Poubelle graffée dans l’agglo dijonnaise. Extraite de France bleue : “Coronavirus : un artiste de rue graffe sur des poubelles pendant le confinement à Dijon” ; voir aussi France inter : “Poubelle la vie : quand le street artiste RNST sort son journal de confinement“) ainsi que le compte facebook de RNST.