Qu’est-ce que tu as dans ton sac à dos ?

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montage de (kesta ds ton sakado)

Une montagne desséchée

Alors j’ai décidé de rentrer à SBA. J’ai contacté le même passeur à Oujda : le jeune avec la vieille Mercedes déglinguée. Il m’a ramené dans les montagnes et m’a dit : « voilà, l’Algérie est là.

— Mais t’es sérieux, mec ? Il y a plein de militaires ! »

On m’avait dit qu’à Zouia, ça grouille de terroristes. Donc ça grouille aussi de militaires. C’est un endroit dangereux. Je l’ai payé 200 dirhams[1] et je l’ai laissé partir. A Nador, on avait négocié qu’il m’amène jusqu’en Algérie, mais il m’a largué en pleine montagne. J’ai pris mon sac à dos et je suis parti à pied dans la direction qu’il m’indiquait. Je voulais faire du stop. Mais les voitures sont rares dans cette zone. Ce sont de toutes petites routes sur une montagne rocailleuse, sèche. Il n’y a presque pas de végétation. Les routes sont pleines de trous et de cailloux. A l’aller, je me demandais comment la vieille Mercedes n’explosait pas ses pneus sur les cailloux. On voit passer des charrettes tirées par un âne. Ce sont des routes pour les ânes, pas pour les voitures. D’ailleurs, on raconte que le trabendo, la contrebande entre l’Algérie et le Maroc, se fait à dos d’âne. On dit que les trabendistes dressent leurs ânes pour qu’ils fassent le chemin tout seuls avec leur came : ils leur collent un casque sur les oreilles, avec un enregistrement qui répète en boucle « hrrra hrrra » : c’est le mot qu’on crie pour faire avancer un âne. Et l’âne va tout seul de l’autre côté de la frontière.

Quand une rare

anes-trabendistes-algerie-maroc-leparia

Ânes et trabendo

voiture passait, je levais le pouce. Un mec a fini par s’arrêter. « Qu’est-ce que tu as dans ton sac à dos ?

— Des vêtements.

— Tu es sûr ?

— Oui. »

Il est reparti. J’ai marché, marché jusqu’à la nuit. Je continuais à faire du stop quand je voyais une voiture arriver. Si le mec s’arrêtait, il me demandait ce que j’avais dans mon sac à dos, et il repartait. Ils avaient tous peur. Ils ont la frousse là-bas, alors un mec avec un sac à dos, ça les fait flipper. J’ai marché jusqu’à la nuit. J’ai fini par grimper par un petit chemin de montagne jusqu’à une route. J’étais en territoire algérien. J’étais juste à côté d’une caserne, mais je ne le savais pas. Un militaire est venu. Il faisait le guet devant la caserne, et s’est amené pour voir qui j’étais et ce que je faisais là. Je l’ai ai vu de loin approcher tout doucement.

Les militaires de zouia

Les militaires de Zouia

« Salam aleykoum.

— Salam.

— Tu vas où ?

— à Bel Abbès.

— Tu viens d’où ?

— Du Maroc.

— Qui t’a fait passer ?

— Un passeur.

— Qu’est-ce que tu as dans ton sac à dos ?

— Rien.

— Viens avec moi. »

On a marché jusqu’à la caserne. Une caserne avec des militaires en claquettes. Ça me faisait rire en scred. Ils m’ont fouillé, ils ont fouillé mes affaires. Le militaire m’a demandé où j’allais. « Maghnia.

— En pleine nuit ? Il ne faut pas aller là-bas en pleine nuit, ils vont te découper. »

Ensuite le militaire a arrêté une voiture. Il a dit au conducteur de m’amener à un endroit, pour me mettre sur la route de Maghnia. Mais le conducteur ne m’a pas amené à l’endroit indiqué. Il m’a dit qu’il avait quelque chose à faire et m’a largué au premier carrefour. Nous étions à Zouia. Je suis allé dans un cybercafé. Devant, un flic parlait avec un groupe de jeunes. Le flic est venu me voir et m’a demandé : «  Qu’est-ce que tu as dans ton sac à dos ? » Et puis pareil : « Tu viens d’où, tu vas où ? Viens avec moi au commissariat. » Le commissariat était juste en face. J’ai été interrogé d’abord par un flic de la police scientifique, jeune, à lunettes, sympa. On a eu une bonne discussion : il me donnait des conseils et me parlait de religion. Mais je l’inquiétais, alors il m’a emmené dans le bureau du commissaire. Je suis resté avec eux encore plus d’une heure.

Dans le bureau du tueur de terros

Dans le bureau du tueur de terros

Le commissaire crânait dans son bureau. Il voulait m’impressionner. Il m’a fait voir des photos d’une clé USB branchée sur son PC : « Chouf, c’est les photos des terroristes recherchés. Moi je les flingue les terros. J’en ai tué des dizaines. » Et il m’a sorti son flingue : « C’est avec ça que je les tue ». J’en avais ras le cul. J’ai demandé si je pouvais partir. « Non. Tu imagines, en un mois tu es passé par trois pays.

— Oui.

— Nous, on veut savoir si tu es algérien ou marocain. »

J’étais dans une zone de terros. J’avais en face de moi un tueur de terros. Je n’avais pas de passeport. C’était la frontière marocaine, ils croyaient que j’étais marocain. Je les inquiétais. Alors j’ai commencé à expliquer où j’étais né, de quelle famille j’étais, où j’avais vécu. Je leur ai raconté ma vie. Ils ont compris que j’étais vraiment oranais. Ou plutôt, un émigré oranais. Ça fait une grosse différence. Et donc comme j’étais un oranais « émigré » le commissaire voulait encore plus se la jouer. Il m’a raconté qu’il avait eu une histoire avec une émigrée. Il était en rage parce qu’elle lui avait préféré un mec à Paris. Il me dit : « Pourtant j’ai une grosse matraque. » Et il faisait le geste de prendre sa grosse bite d’une main.  « Elle l’a aimée ma grosse matraque, cette pute ! Je lui ai mise bien à fond. » C’était un cinglé, quoi. Un baisé de la tête.

Et moi, je me disais : « mais c’est quoi ce pays de guedins où ils m’ont envoyé ?

*   *   *

Chapitre 2. Le haouch et le hanout

[1] Environ 20 euros.