Nador /// Melilla

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On est restés quatre jours ensemble à Nador, pour surveiller la frontière et essayer de trouver un moyen de passer à Melilla. On voulait prendre une chambre d’hôtel, mais comme on était entrés clandestinement au Maroc, ils ne pouvaient pas nous héberger : la police contrôle les hôtels. On était obligés de dormir dehors. C’était en décembre, il faisait froid.

Article 11 - Melilla : les ombres du mur

Melilla : les ombres du mur (Article 11)

On dormait le plus souvent dans les cafés. Mon père dormait, mais moi je restais éveillé pour garder les bagages et protéger mon père. Je ne voulais pas qu’il lui arrive quoi que ce soit. Pour moi, c’est un père, c’est un bonhomme. Franchement respect. Je serais prêt à mourir pour lui. Il nous a fait sortir d’Algérie en 1990 parce qu’il voyait qu’il n’y avait pas d’avenir dans le pays. C’est grâce à lui que toute la famille est en France. Et quand son fils a été expulsé, il est venu jusqu’à SBA pour le ramener. Il va jusqu’à Nador, il accepte de dormir dehors et de prendre des risques pour faire passer son fils. Il ne lâche pas le morceau. C’est pourquoi je dis que c’est un bonhomme.

Mon père avait un rendez-vous à son taf. Je lui ai dit de rentrer en France, que j’allais me débrouiller. Je suis resté seul à Nador une semaine de plus à chercher un moyen de passer — de m’évader en fait. Je dormais dehors. Mais le plus souvent je marchais. Je marchais beaucoup, toute la journée, parfois toute la nuit. Je me déplaçais sans arrêt pour ne pas me faire repérer comme Algérien en mode harraga[1], pour éviter d’être agressé et dépouillé, pour éviter les contrôles de police aussi. Pendant quatre jours d’affilée, je n’ai pas dormi.

Le mur de Melilla

Le mur de Melilla

Je me suis fait agressé une fois. Par deux mecs bourrés. J’étais monté à Farkhana, sur la montagne qui surplombe Melilla, car c’est un point de passage de la frontière. J’ai croisé deux types foncedés. Le premier a commencé à crier « Oh c’est lui ! Ce fils de pute, c’est lui ! » Comme s’il me reconnaissait et que je lui avais fait quelque chose : un stratagème classique pour chercher la bagarre et demander le soutien de ses potes. Il m’a saisi par le col. Je lui ai envoyé une patate, il est tombé au sol. Son pote est venu et m’a saisi le col à son tour. Pam. Une droite et il était par terre aussi. Puis je suis parti en courant, car j’étais en mode clandestin : je ne voulais pas risquer d’emmerde avec la police marocaine, ou même avec les voisins. Un harraga algérien qui frappe deux Marocains ! Hou là, ça serait pas bien vu.

"…barbelés truffés de lames de rasoir…" : menace de mort ou volonté délibérée de mutiler ?

“…barbelés truffés de lames de rasoir…” : menace de mort ou volonté délibérée de mutiler ?

Un type m’a donné un tuyau : il fallait passer la frontière un dimanche à 6h00 du matin. Sur place, il y avait foule, des Algériens, des Marocains, des Syriens. Tout le monde voulait passer, les gens se marchaient dessus. Devant un portique, la police espagnole examinait les papiers : « toi tu entres, toi tu n’entres pas ». J’avais acheté une carte d’identité marocaine à Nador. Car les gens de Nador ont le droit de rentrer à Melilla. Lorsque j’ai voulu passer, le flic a cramé direct : « No es tu ! Argelino ! Ce n’est pas toi sur la photo. Tu es algérien. Dégage ! » J’ai cru qu’il allait me livrer à la police marocaine. Si tu es un harraga algérien, la police marocaine c’est chaud ! Mais il s’est contenté de me refouler.

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Note

[1] Harraga : terme algérien, dérivé de harga : brûler. Le terme harraga désigne les gens qui passent clandestinement en Europe, notamment dans des embarcations de fortune. Les harraga « brûlent » la frontière comme on brûle un feu rouge ; il brûlent leurs papiers pour ne pas être identifiés et renvoyés ; ils brûlent leur vie lorsque le voyage tourne au drame. Le terme est devenu commun dans les pays maghrébins ainsi qu’en France et en Espagne. Il figure désormais dans le dictionnaire français.

Les photos qui illustrent cette page sont extraites des reportages ci-dessous

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Melilla-Maroc, une frontière qui broie les hommes – Euronews, décembre 2013

Storming Spain’s Razor-Wire Fence : Europe or die (franchir le mur espagnol hérissé de lames de rasoir) — Vice News, janvier 2015

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