Des mottes de terre contre des armes de guerre. ZAD : Les armes de la gendarmerie mutilent un opposant.

Ce qui devait arriver arriva

posté par faceauxarmes le 23 mai 2018

 

Un jeune homme a eu la main littéralement arrachée par une grenade explosive (GLI-F4) lancée par un gendarme mobile ce mardi 22 mai. Arrachée. Le mot ne semble pas exagéré au regard de la photo qui circule et qui laisse apparaître un moignon sanguinolent en lieu et place de main. On apprend qu’une amputation a été nécessaire. Sans doute au niveau de l’avant-bras pour réparer comme il était possible de le faire les os, les muscles et les tendons détruits par l’effet de souffle de cette arme dont sont dotées les forces de police et de gendarmerie. Une vie détruite. Une mutilation irréversible et définitive. La souffrance sans fond et indicible des amis et de la famille. Et le choc qui nous rend tous un peu sonné mais qui donne autant envie de pleurer que de se venger rageusement. La nécessité aussi d’apporter notre soutien à cet ami inconnu.

Des mottes de terre contre des armes de guerre

Une blessure de guerre pour quelqu’un qui s’était levé, ce matin comme tant d’autres, avec l’idée un peu dérisoire mais absolument juste qu’il fallait défendre la ZAD et ce qu’il s’y joue contre les moyens proprement délirants déployés par le gouvernement pour s’en débarrasser, après avoir concédé l’abandon de l’aéroport – ce qui soit dit en passant était sans doute la condition nécessaire pour y parvenir. Des milliers de gendarmes mobiles suréquipés et surprotégés, dotés d’une réserve apparemment inépuisable de grenades lacrymogènes et explosives, appuyés par de nombreux véhicules blindés. S’opposer à une armée donc mais avec les moyens du bord : son corps d’abord, faiblement protégé par des lunettes de piscine et des masques souvent en papier, plus rarement par des boucliers bricolés, mais aussi des barricades de fortune pour retarder l’avancée des engins de destruction, des mottes de terre et parfois des cailloux ou des bouteilles vides. A l’occasion aussi quelques cocktails Molotov du nom de ces engins artisanaux utilisés pendant la seconde guerre mondiale par les soldats finlandais désemparés face à la puissance de feu des chars soviétiques à une époque où un certain Molotov était ministre en URSS. Cocktail Collomb en quelque sorte. D’autres ont depuis inventé des bombes à caca.

Disproportion… proportionnelle

La doctrine qui encadre l’usage des armes du maintien de l’ordre parle de proportionnalité entre les moyens utilisés et la menace à laquelle les forces de l’ordre ont à faire face. A ceux qui comprennent mal comment on peut envoyer des armes de mutilation massive (LBD ou grenades explosives) contre un groupe des gens désarmés, il faut rappeler que proportionnalité n’est pas égalité. Si pour un caillou on a dix grenades explosives, on en aura 100 pour 10 cailloux. Voilà comment on parvient à 11 000 grenades tirées lors de la première vague d’expulsion. Telle est en tout cas la situation dans laquelle nous nous sommes installés depuis une dizaine d’années : la banalisation absolue du risque de mutilation, mais aussi de mort, lors de ce qu’il est convenu d’appeler des « opérations de maintien de l’ordre », que ce soit dans les ZAD mais aussi les stades, les quartiers ou les manifestations. L’équipe médic et le groupe de soignant.e.s de la zad témoignent :  « Depuis plusieurs semaines, nous alertons de la dangerosité avec laquelle sont utilisées les armes de la police. Nous déplorons la situation dramatique d’aujourd’hui mais n’en sommes pas surpris. Nous avons déjà dû prendre en charge plus de 300 blessés lors de ces dernières semaines suite, entre autre, à des tirs de grenades GLI-F4, grenades de désencerclements et flash-balls. Nous réaffirmons que ce que le gouvernement met en œuvre pour réprimer la zad est susceptible chaque jour de provoquer un mort, tout cela pour continuer à détruire des maisons et lieux de vie ».

Blessures provoquées par une grenade GLI-F4 en avril 2018 lors de la première vague d’expulsions sur la ZAD

Bataille de communication 

A chaque blessé grave la même opération de communication. Celle qui fut parfaitement réalisée lors de la mort de Rémi Fraisse. Retenir les informations importantes et diffuser des informations fausses ou secondaires. Dans son communiqué, le ministre indique que les gendarmes ont voulu « défendre leur intégrité physique » et surtout il précise « qu’un des opposants aurait tenté de ramasser une grenade tombée au sol en vue de la relancer sur les gendarmes ».  Sur place des témoignages contestent cette version des faits. Pas de cocktail molotov à ce moment-là. Les gens fuyaient suite à des tirs de grenades. Mais surtout il est hautement improbable que le jeune homme ait cherché à ramasser une telle grenade. Tout le monde sur place sait qu’elles sont très dangereuses : « On le sait tous qu’il faut pas les ramasser, ces engins-là. C’est écrit partout, tout le monde est au courant. Ce qu’on peut relancer, c’est juste les palets lacrymogènes, mais les grenades au sol non éclatées, et qui viennent de tomber, personne ferait un truc pareil ». Il est bien plus probable que cette grenade ait explosé à proximité de la main du blessé sans qu’il ait tenté de la ramasser.

A qui la faute ?

S’il est primordial de répondre pied à pied à tous les mensonges formulés par les communicants de la gendarmerie, il faut prendre garde à la façon dont la question nous est imposée. En l’espèce : A-t-il oui ou non ramassé cette grenade ? Or ça n’est pas le problème principal, ni même la cause de cette blessure. Le problème n’est pas qu’une personne qui vient de perdre une main ait ou non ramassé une telle grenade. Le problème c’est que de telles armes sont régulièrement et massivement utilisées. Le problème c’est que ces armes sont composées d’une charge explosive de 25 gr de TNT dont la déflagration est extrêmement dangereuse. Les mêmes causes entrainant les mêmes effets, le problème c’est que chaque fois qu’une grenade de ce genre (OF-F1 ou GLI-F4 par exemple) explosera à proximité du corps d’un être humain elle le détruira, totalement ou partiellement. Comme elles ont tué Rémi Fraisse, mutilé Robin à Bure et tous les autres qui ont préféré rester anonyme et qui se comptent par dizaines. Le problème c’est que c’est armes sont des armes de destruction et qu’à partir du moment où elles sont utilisées il n’y aucune raison qu’elles ne finissent pas par exploser à proximité d’une main, d’un pied, d’un dos, d’un torse ou d’une tête. Le problème encore c’est que l’État et le ministère de l’intérieur autorisent l’usage de ces armes alors même que leur dangerosité a été reconnue par les forces de l’ordre elles-mêmes, dans un rapport commun à police et à la gendarmerie publié le 13 novembre 2014 suite à la mort de Rémi Fraisse. La France est d’ailleurs le dernier pays européen à y avoir recours.

Car s’il faut toute la perversité d’un policier ou d’un gendarme pour lancer une telle grenade sur un manifestant désarmé, s’il la lance c’est qu’il en en a reçu l’ordre ou l’autorisation. C’est qu’un gradé fixe le degré de violence et en prend la responsabilité sous couvert du ministère de l’intérieur. C’est aussi qu’elles sont parvenues par caisses entières dans ces nombreux fourgons. C’est encore qu’il existe un décret qui précise quelles sont les armes à feu susceptibles d’être utilisées pour le maintien de l’ordre public. Il s’agit en dernière instance d’une logique politique : La permanence de la possible destruction des corps comme moyen de contrôle.

Se protéger de ces armes par tous les moyens

A partir de 2009, les mutilations au flashball, remplacé depuis par le LBD (lanceur de balle de défense), sont devenues de plus en plus nombreuses. Plusieurs collectifs se sont constitués autour de différents blessés, certains se sont réunis dans une assemblée des blessés. Tous se sont attachés à rendre visible la violence dont ils avaient fait l’objet tout en mettant en avant la raison d’être d’une telle violence. Certains ont poursuivi au pénal les policiers qui leur avaient tirés dessus. Et malgré la somme considérable de non-lieux et de relaxes, des condamnations ont été obtenues faisant de ces procès autant de tribunes politiques démontant le fonctionnement normal de la police : mensonges, PV trafiqués, absence de menace réelle au moment du tir, etc.

Dans trois cas, la responsabilité du préfet, et derrière lui celle l’Etat, a été engagée, devant un tribunal administratif cette fois, pour utilisation d’armes dangereuses (flashball et LBD). Trois fois la responsabilité de l’Etat a été reconnue et trois fois il a été condamné à verser des indemnités aux personnes mutilées malgré des tours de passe aussi abjects que délirants. Des expertises médicales et balistiques indépendantes ont permis d’augmenter la connaissance que nous avions de ces armes et de contrer la négation systématique qui est faite par la police entre les blessures constatées et l’arme utilisée ; tout comme cela a permis de faire reconnaître le caractère dangereux du LBD par une cour de justice administrative. Le ministère de l’intérieur a d’ailleurs fait appel de cette dernière condamnation. Et de nombreuses requêtes sont en cours.

On constate depuis la loi travail, une généralisation et une banalisation de l’utilisation des grenades dites explosives (assourdissantes, offensives ou de désencerclement) et une augmentation des blessures et des mutilations liées à leur usage. Sur le terrain, le rapport de force entre la police et ceux qui contestent l’ordre ne sera jamais un rapport équilibré ou proportionné. Et toutes les protections matérielles du monde, si elles sont nécessaires, ne suffiront pas à faire disparaître la vulnérabilité de nos corps.

Aujourd’hui, nous pensons qu’il faut faire pour ces grenades ce qui a été fait pour le flashball et le LBD : poursuivre l’Etat et engager sa responsabilité devant des cours de justice administrative pour l’utilisation de ces grenades et les mutilations qu’elles engendrent.  C’est une partie du rapport de force sans fin qui nous oppose à l’Etat à sa police et qui a pour but de compliquer voire d’interdire l’usage de ces armes. A terme, c’est le décret relatif aux armes à feu susceptibles d’être utilisées pour le maintien de l’ordre public qui pourrait être visé. La grenade GLI-F4 est déjà sur la sellette. Il est tout à fait possible de renforcer le processus qui pourrait la voir disparaître de la liste des armes dont disposent les forces de l’ordre. Sans se faire trop d’illusion. Et tout en sachant que d’autres la remplaceront. Mais tout est bon pour continuer à défendre ce qui nous tient à cœur sans risquer d’être mutilé en permanence.

Pour tous les mutilés d’hier et d’aujourd’hui. Et pour que cessent toutes les mutilations.

 

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Contact : https://faceauxarmesdelapolice.wordpress.com/contact/

Le collectif Face aux armes de la police se tient à la disposition de ceux qui voudraient des informations plus précises sur cette procédure sur laquelle on trouvera des éléments ici. Différents avocats avec lesquels nous travaillons sont disposés à prendre en charge les requêtes au tribunal administratif. Mais il est possible de le fai